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tisans, les majestés et les altesses royales se bornaient gravement à leur tendre la main à baiser.

Malgré les réclamations des gentilshommes de l’ancienne cour, Joseph avait abandonné cette étiquette orientale. Il n’aimait pas à trôner, et après avoir reçu dans le salon de los reynos les ambassadeurs, les ministres, les conseillers d’état, les généraux et les grands officiers de la maison, il passait dans les autres salles, et allait visiter lui-même ceux qui venaient lui présenter leurs hommages. Il était accessible à tous, écoutait avec patience, répondait avec douceur, s’informait avec intérêt. Jamais personne ne le quittait sans être satisfait. Aussi Aristizabal me disait-il avec une sorte de malice, en comparant les deux cours : « Autrefois un jour de réception, c’était une procession, maintenant c’est une revue. »

Dès notre arrivée, M. Rancaño m’avait présenté au lieutenant-général baron Strolz[1], qui, en sa qualité de premier écuyer, avait la direction supérieure de la Real Casa de pages. M. le général Strolz n’avait été promu à cette charge, dans la maison du roi, qu’au départ de M. le comte Stanislas de Girardin, qui, après avoir été premier écuyer à Naples, avait suivi Joseph à Madrid, dans l’espérance d’obtenir la charge de grand-écuyer du roi d’Espagne. Ce vœu n’ayant pas pu être satisfait, parce que la constitution s’opposait à ce que les grandes charges de la couronne fussent remplies par d’autres que par des nationaux, M. de Girardin, un peu piqué, demanda et obtint la permission de rentrer en France, au réel déplaisir du roi qui avait en lui un serviteur dévoué et un ami fidèle.

M. le général Strolz sortait, comme mon père, de cette armée du Rhin, dont les officiers ont eu si long-temps à lutter contre les préventions de l’empereur. Il avait pu connaître mon père à l’état-major du général Moreau, et il me fit un très bon accueil.

Le roi Joseph n’ignorait pas la cause du mécontentement de Napoléon contre les officiers sortant de cette armée. Il savait que la plupart d’entre eux, par suite de leurs opinions républicaines, avaient refusé leur vote approbatif aux actes qui transformèrent le consulat à vie en un empire héréditaire ; mais, rendant justice à leurs talens et à leur bravoure, il avait cherché à les attirer auprès

  1. Aujourd’hui membre de la chambre des députés.