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chée de la caste des Brahmanes, n’est-elle pas la preuve la plus évidente qu’elles appartiennent à une autre race ? Et pour ne choisir qu’un des nombreux traits de leur originalité si marquée, comment s’expliquer la présence dans le même pays de deux systèmes de langues aussi radicalement dissemblables que le sanscrit des Brahmanes, et les dialectes qui dominent exclusivement dans le sud de l’Inde ? Si ces dialectes étaient le produit d’une de ces altérations auxquelles nous savons que le sanscrit n’a pas plus échappé que toute langue qui a long-temps vécu, sans doute, il faudrait reconnaître qu’ils sont postérieurs à l’époque de l’arrivée des Brahmanes dans le Décan. Mais ces dialectes diffèrent du sanscrit, et dans les mots et dans les formes grammaticales ; et, dès-lors, il faut en conclure qu’ils sont antérieurs à l’introduction du sanscrit dans le sud de l’Inde, et l’histoire peut les admettre comme les témoignages irrécusables de l’existence d’un peuple anciennement établi dans la plus grande partie de la presqu’île indienne.

Ces indications nous ont conduits jusqu’à la limite la plus reculée, à laquelle la critique puisse parvenir sans crainte de se perdre. En effet, si elle a le droit d’interroger les langues, quand l’histoire ne lui répond plus, elle doit renoncer à l’espoir de trouver chez un peuple quelque chose d’antérieur à la langue qu’il parle. Mais, pour atteindre à cette limite, que de recherches à faire et de questions à résoudre ? Explorer tous les monumens de la littérature sanscrite, les comparer entre eux, les classer autant que cela est possible ; puis, quand on aurait reconnu que ces monumens ne sont encore que ceux de la nation qui a donné à l’Inde ses croyances et ses lois, et que cette nation n’est pas la seule dont on retrouve les vestiges dans ce pays, étudier les idiomes populaires, examiner s’ils offrent quelque affinité avec d’autres langues étrangères au continent indien ; en un mot, joindre à la connaissance du sanscrit celle de quatre ou cinq autres dialectes, pour lesquels l’intelligence de l’idiome savant des Brahmanes n’est que d’un bien faible secours : telle est la suite des travaux auxquels il faudrait se livrer, pour composer une histoire littéraire et philosophique de l’Inde, qui méritât de prendre place parmi les grandes compositions historiques de notre époque. Quand même tous les détails de ce plan auraient été éclairés par deux siècles de recher-