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HOMMES D’ÉTAT DE LA FRANCE.

Quelqu’un qui l’assista dans sa maladie, m’a dit qu’il se plaignait surtout, mais d’une manière confuse, de ce que les promesses qui lui avaient été faites, n’avaient pas été accomplies, et de la perte de sa popularité, qu’on lui avait ravie sans fruit pour le pays. Pendant ce temps, ses amis politiques de la Chambre exploitaient sa mort, en accusant la presse libérale et l’opposition d’avoir creusé sa tombe ; et, en d’autres lieux, on gouvernait à l’aise sous son nom, sans crainte de voir son ombre venir demander compte de l’abus sacrilége qu’on faisait de l’agonie d’un mourant !

La pensée qui tua Casimir Périer était malheureusement une pensée fausse. Il s’était persuadé qu’il était l’homme indispensable, l’homme unique de son temps ; et une fois assis au faîte, il ne tarda pas à s’apercevoir qu’on ne l’avait pris que comme un instrument, pour l’user, comme on avait fait d’autres, et le jeter ensuite dans un coin. Que devint-il donc, quand il vit avec quelle rapidité s’usent l’intelligence, le crédit et le renom, dans cette place qu’il occupait ! Quel coup pour lui, quand il sut, à n’en pas douter, qu’on avait déjà calculé en haut lieu combien de temps à peu près il pourrait durer, et quand, regardant autour du maître, il trouva ses ennemis déjà désignés par lui, attendant, non sans impatience, le temps de fonctionner à leur tour. Il avait tort ! C’est là le gouvernement représentatif, qui ne subsiste qu’à force d’intelligences et de poumons, en consommant des cerveaux et des poitrines, comme le régime absolu consomme de la chair et des os. Celui-ci envoie des masses d’hommes sans choix au feu du canon, et les fait tuer sur le champ de bataille ; celui-là prend l’élite de la nation et la fait périr sur les marches de la tribune. Dans l’armée, comme dans les Chambres, à chaque combattant qui tombe, on serre les rangs et il n’y paraît plus. Les Canning, les Fox, les Foy, les Lamarque sont remplacés et s’oublient comme tant de morts illustres, enterrés après la victoire. Heureux ceux qui ne sont pas oubliés déjà de leur vivant, et qui meurent avant que d’être arrivés à ce poste du pouvoir, où disparaissent toutes les illusions, et où, après s’être bien long-temps cru si fort, on se trouve tout-à-coup si impuissant, si désorienté et si faible !


(West-End Review.)