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que la ville de Londres offrit à Wilkes. Oh ! certes, la tache est grande, et je n’essaierai pas de la laver ; mais si vous saviez comme cette révolution de juillet le trouva épuisé et dépourvu d’espérances, si vous connaissiez seulement une partie des épreuves fatales par lesquelles il avait passé dans ces dernières années d’opposition, et qui lui avaient appris à juger les hommes dont il était entouré, à prévoir leur désertion et leur apostasie ! Nous autres qui n’assistions pas au secret de ces conférences journalières, où chaque jour, dans le laisser-aller familier des causeries intimes, quelqu’un de ces hommes laissait tomber son masque, nous n’avons pas été surpris de les voir entrer si naturellement dans les voies de la restauration, et surpasser en lâcheté, en astuce, et en haine du peuple, ceux qu’ils ont remplacés au pouvoir. Benjamin Constant, mieux instruit, n’espérait pas que la terre de la liberté se féconderait du sang qui allait couler ; il fit cependant son devoir jusqu’au bout, il accourut quand, aux journées de juillet, un ami lui écrivit cette noble lettre : « Il se joue ici un jeu terrible. Nos têtes servent d’enjeu, venez apporter la vôtre. » Et il l’apporta en effet ; mais il n’apporta que cela. Le corps était brisé, son organisation détruite, et il venait de subir une opération tellement cruelle, que si nous eussions succombé dans la lutte, on l’eût porté plus que demi-mort sur l’échafaud. On le traîna partout, dans les rues, à l’Hôtel-de-Ville, au Palais-Royal. C’était une bannière déchirée et trouée par les combats, qu’on déployait avec enthousiasme devant le feu de l’ennemi. Puis, quand tout fut près de finir, on se servit de son amour de la monarchie constitutionnelle pour l’entraîner ; ses alentours, qui le voyaient arrivé à la fin de sa carrière, pauvre et dénué de tout, le supplièrent d’accepter le don qu’on lui faisait ; et lui toujours faible, plus faible que jamais au moment où ses forces physiques l’abandonnaient, subjugué par cette influence qui, sous mille formes diverses, avait joué un si grand rôle dans sa vie, il se laissa faire. Mais tout à coup la vie sembla se ranimer dans ce corps éteint, il retrouva la force d’écrire, de parler, et alors rien ne l’arrêta. Voyant comme les choses marchaient, il alla à la chambre reprendre son ancienne place, et nous venons de voir comme il y défendit la première des libertés menacée par le nouveau pouvoir. Croyez bien que, sans la mort, il eût continué, et qu’il serait aujourd’hui à