Page:Revue des Deux Mondes - 1833 - tome 1.djvu/243

Cette page a été validée par deux contributeurs.
237
HOMMES D’ÉTAT DE LA FRANCE.

son exil, outre tous les émigrés et tous les agens politiques qui affluaient à Coppet, il avait encore à s’occuper des correspondances qu’il entretenait en diverses parties de l’Europe. Avant son arrivée en France, il s’était déjà lié à Édimbourg, où il avait étudié, avec le docteur Graham, Henri Erskine, lord Buchan, John Wilde, Mackintosh, tous devenus depuis plus ou moins célèbres. À Brunswick, il avait aussi contracté des liaisons importantes, et particulièrement avec une des princesses de cette cour, qui fut depuis reine d’Angleterre. Séparé de la femme qu’on lui avait fait épouser dans cette petite principauté, il s’était attaché à une dame de la maison de Hardenberg, qu’il épousa plus tard, et il avait fort à faire de cacher ce sentiment à madame de Staël. Des rapports suivis existaient entre lui et M. de Narbonne, Mathieu de Montmorency, le prince de Broglie, M. de Jaucourt, Louvet, Chénier, Roederer, Cabanis, et une foule d’hommes politiques de la révolution, le consultaient sans cesse dans leurs lettres ; enfin il exerçait secrètement, par ses relations, une haute et active influence sur les affaires de plusieurs pays. Cependant, il est singulier de le dire, presque toutes les actions éminentes de Benjamin Constant, et un grand nombre de ses écrits politiques, lui furent inspirés par les femmes, qui eurent toujours un si grand ascendant sur lui. Sa correspondance avec mademoiselle de Hardenberg, qui était poète, et poète allemand, c’est-à-dire mystique, paraît lui avoir donné l’idée de son grand ouvrage sur les religions. C’est à Coppet, sous l’œil de madame de Staël, qu’il écrivit, en 1795, sa fameuse brochure sur la forme du gouvernement, et presque toutes celles qui suivirent étaient plus ou moins composées sous l’influence de cette femme célèbre. Ainsi, ce fut au moment où commencèrent les premières persécutions qu’éprouva madame de Staël, qu’il publia son traité des réactions politiques. Sa haine contre Bonaparte lui vint encore de celle que Bonaparte portait à madame de Staël. Madame de Staël revint à Paris en 1798 ; elle y fut persécutée, et presque aussitôt Benjamin Constant publia son essai sur la révolution de 1660, en réponse à Boulay de la Meurthe ; plus tard, je vous expliquerai comment une femme fut en grande partie la cause de sa conduite embarrassée, et de ses tergiversations au moment où Napoléon revint de l’île d’Elbe.