Page:Revue des Deux Mondes - 1833 - tome 1.djvu/242

Cette page a été validée par deux contributeurs.
236
REVUE DES DEUX MONDES.

toute puissante ! car tous ces prétendus contre-poids dont on l’avait entouré, pouvaient être paralysés par la seule volonté du premier consul. On sait que l’initiative et la proposition des lois étaient réservées au gouvernement, c’est-à-dire au consul suprême. Le Tribunat n’avait d’autre mission que d’envoyer un orateur devant le corps législatif pour combattre ou appuyer le projet, et ce corps adoptait ou rejetait la loi, mais sans la discuter, et après avoir entendu contradictoirement les orateurs du gouvernement et ceux du Tribunat. Le sénat n’était rien qu’une cour de cassation chargée de ramener le pouvoir à la constitution, s’il s’en écartait ; mais on a vu que le pouvoir se dispensait fort bien de recourir aux avis du sénat. Le Tribunat avait donc seul la parole, et là uniquement un peu d’opposition était possible. Ce simulacre de résistance irrita cependant Bonaparte à un tel point, qu’il provoqua un sénatus-consulte par lequel le Tribunat fut réduit à cinquante membres. Benjamin Constant et les membres les plus influens de la minorité furent éliminés. Chénier, Daunou, Guinguené, furent avec lui victimes de cette mesure. C’est ainsi que le sénat entendait sa mission de rappeler le pouvoir exécutif dans les voies constitutionnelles !

Ainsi arrêté au début de sa carrière, Benjamin Constant s’éloigna et se retira tristement à Coppet (1802), à la suite de madame de Staël, qu’une activité fatigante pour le pouvoir, et un esprit d’intrigue fort distingué sans doute, mais effrayant dans une société à peine constituée, avaient fait exiler d’abord de Paris, et ensuite de la France.

Dès-lors Benjamin Constant fut rendu pour de longues années, non pas au calme, mais à la méditation philosophique, et aux loisirs de la vie privée. Il avait commencé son ouvrage sur la religion dans un séjour qu’il fit à Lausanne, au mois d’août 1794 ; il se disposa à pousser avec vigueur, dans la solitude, ce travail de toute sa vie. Le roman d’Adolphe, où Benjamin Constant a déposé une partie des secrets de son cœur, nous a révélé que cette solitude de Coppet, toute pleine d’orages, n’était pas bien favorable à l’étude et à la méditation. D’ailleurs, l’éclat que Benjamin Constant avait jeté dans les salons de madame de Staël, et dans le Tribunat, ne lui permettait plus de vivre dans une paisible retraite ; et, dans