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POÈTES ET ROMANCIERS FRANÇAIS.

On en rit ; c’est hasard s’il n’a heurté personne ;
Mais sa folie au front lui met une couronne,
À l’épaule une pourpre, et devant son chemin
La flûte et les flambeaux, comme au jeune Romain !


Dans Don Paez enfin, en parlant de Juana :


Comme elle est belle au soir ! aux rayons de la lune,
Peignant sur son col blanc sa chevelure brune !
Sous la tresse d’ébène on dirait, à la voir,
Une jeune guerrière avec un casque noir !


Ce sont là, à mon sens, des vers d’une telle qualité poétique, que bien des gens de mérite qui sont arrivés à l’Académie par les leurs (M. Delavigne lui-même, si l’on veut), n’en ont peut-être jamais fait un seul dans ce ton. Ces sortes d’images se trouvent et ne s’élaborent pas. Je donne la moindre en cent à tous faiseurs, copistes, éplucheurs, gens de goût, etc., etc.

Les Contes d’Espagne et d’Italie, en mettant hors de ligne la puissance poétique de M. de Musset, posaient donc en même temps une sorte d’énigme sur la nature, les limites et la destinée de ce talent. Quelques fragmens imprimés depuis dans la Revue de Paris, et un petit drame en prose, représenté sans succès et lu avec plaisir, n’avaient pas contribué à éclaircir l’énigme : aujourd’hui un Spectacle dans un fauteuil l’a-t-il résolue ?

Ce volume nouveau[1] contient une dédicace à M. Alfred T…, très décousue mais étincelante, un grand drame sérieux en cinq actes, intitulé la Coupe et les Lèvres, une charmante petite comédie en deux actes, À quoi rêvent les jeunes filles ? et enfin un soi-disant conte oriental, Namouna, dont le sujet n’est qu’un prétexte de divagation sinueuse, et dans lequel se trouvent, après vingt folles échappées, les deux cents plus beaux vers qu’ait jamais écrits M. de Musset, toute sa poésie en résumé et tout son amour. — Le personnage principal de la Coupe et les Lèvres, Charles Frank n’est pas d’une autre famille que Manfred, Conrad, le Giaour, quoiqu’il nous offre

  1. Chez Eugène Renduel, rue des Grands-Augustins.