Page:Revue des Deux Mondes - 1833 - tome 1.djvu/184

Cette page a été validée par deux contributeurs.
178
REVUE DES DEUX MONDES.

néant après ! La vieillesse était apostrophée, foulée en maint endroit, secouée par le menton, comme décrépite. Sous le masque de son Mardoche, irrécusable bâtard de Cunégonde et de Don Juan dans leur vieillesse, il ricanait quelque part, à voix intelligible, de ce bon peuple Hellène,


Dont les flots ont rougi la mer Hellespontienne
Et taché de leur sang tes marbres, ô Paros !!


Quel était donc ce cœur de poète qui avait tant de pitié de la blancheur des marbres ? comment fallait-il l’entendre ? était-il sérieux et sincère ? car, pour poète, il l’était manifestement, même au fort de sa débauche. Dans ses plus mauvais chemins, la vérité rayonnante, l’image inespérée, l’éclat facile et prompt, jaillissait de la poussière de ses pas. Ce que ne donnent, ni l’effort, ni l’étude, ni la logique d’un goût attentif et perfectible, il l’atteignait au passage ; il avait dans le style cette vertu d’ascension merveilleuse qui transporte en un clin-d’œil là où nul n’arrive en gravissant. Ce n’étaient pas des couleurs combinées, surajoutées par un procédé successif, mais bien le réel se dorant çà et là comme un atome à un rayon du matin, et s’envolant tout d’un coup au regard dans une transfiguration divinisée. J’en veux indiquer deux ou trois exemples frappans pour ceux qui savent comprendre :


Ulric, nul œil, des mers n’a mesuré l’abîme,
Ni les hérons plongeurs ni les vieux matelots ;
Le soleil vient briser ses rayons sur leur cime,
Comme un guerrier vaincu brise ses javelots !


Dans les vers déjà cités plus haut :


...... Alentour des sinistres apprêts,
Les prieurs s’agitant comme de noirs cyprès…


Ailleurs, dans Mardoche :


Heureux un amoureux ! – Il ne s’enquête pas
Si c’est pluie ou gravier dont s’attarde son pas.