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HOMMES D’ÉTAT DE LA FRANCE.

ces haines de rivalité, sans retenue et sans lumières, qui faisait gémir dans un tel homme, et qu’on ne saurait comparer qu’à l’inimitié d’un épicier pour le voisin, son confrère, dont la boutique est plus achalandée que la sienne. Cette préoccupation était si forte en lui, qu’elle s’emparait de son esprit à tout moment, en toute circonstance, et qu’il se sentit presque à l’aise quand, après la révolution de juillet, la marche des opinions les ayant jetés dans deux camps opposés, il put ouvertement combattre son adversaire et se réjouir de ses embarras politiques et financiers. Enfin rien n’égala sa joie, lorsqu’il crut pouvoir l’humilier par sa générosité, en votant, en qualité de membre du conseil de la Banque, un secours de quelques millions à M. Laffitte. Ses familiers le virent rentrer ce jour-là avec une de ces mines radieuses qu’on ne lui voyait plus depuis long-temps, et il s’écria plusieurs fois, en se frottant les mains : « La révolution l’a ruiné, et moi je suis debout, plus solide que jamais ! »

La maladie de M. Périer, sa toux et sa faiblesse, copiées de Sixte-Quint, lui revinrent vers le commencement du ministère Laffitte, et plus les embarras de ce ministère croissaient, plus on parlait de M. Périer et de la nécessité de lui faire accepter un portefeuille pour rétablir l’ordre et le crédit, plus les souffrances de M. Périer et son incapacité physique augmentaient. On le voyait au Palais-Royal, dans les cercles, à la Chambre ; mais il se disait hors d’état de parler et d’écrire, impuissant à réparer le mal et le désordre, qu’il voyait grossir, je ne dirai pas avec joie, mais avec ce sentiment d’affection personnelle, un peu parent de celui que Larochefoucauld a défini en disant qu’il y a dans le malheur de nos amis quelque chose qui ne nous déplaît pas. Pendant ce temps, les partisans de Périer publiaient à son de trompe que tout autre ministère que le sien était impossible ; lui, au contraire, disant chaque jour, que rien n’était moins possible que de tenir les rênes d’un état en désordre avec des mains affaiblies et tremblantes, et se montrant maladif ou convalescent tour-à-tour, selon qu’on lui offrait la présidence du conseil ou simplement un portefeuille, la correspondance diplomatique sans contrôle, les télégraphes, en un mot le pouvoir avec ou sans condition. Il savait (Benjamin Constant, qui a pu déjà l’observer avant que de mourir, et dont le désespoir n’é-