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IL PIANTO.

Et sur l’herbe écouter l’oiseau chanter des vers,
En l’honneur des zéphirs qui chassaient les hivers.
Alors jeunes et vieux avaient la joie en tête,
Toute la vie était une ivresse parfaite,
Une longue folie, un long rêve d’amour,
Que la nuit en mourant léguait encor au jour ;
On ne finissait pas de voir les belles heures
Danser d’un pied léger sur toutes les demeures ;
Car Venise était riche, et les vagues alors
Comme au grand Salomon lui roulant des trésors,
Sous son manteau doré, sa pourpre orientale,
Le visage inondé de la senteur natale,
Elle voyait ses fils, épris de sa beauté,
Dans ses bras délicats mourir de volupté.


Mais le bonheur suprême en l’univers ne dure,
C’est une loi qu’il faut que tout le monde endure,
Et l’on peut comparer les forêts aux cités,
En fait de changemens et de caducités.
Comme le tronc noirci, comme la feuille morte
Que l’hiver a frappés de son haleine forte,
Le peuple de Venise est tout dénaturé.
C’est un arbre abattu sur un sol délabré,
Et l’on sent, à le voir ainsi, que la misère
Est le seul vent qui souffle aujourd’hui sur sa terre.
Il n’est sous les manteaux que membres appauvris,
La faim maigre apparaît sur tous les corps flétris ;
Partout le bras s’allonge et demande l’aumône,
La fièvre à tous les fronts étend sa couleur jaune ;