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De sa plume il gagnait son pain de tous les soirs ;
Mais cet enfant divin, sous ses longs cheveux noirs,
Pensif à son bureau, d’un œil mélancolique
Regardait si souvent cette tête angélique,
Qu’il oubliait toujours sa tâche et son devoir.
Or, à force de temps, à force de se voir,
Ces jeunes enfans, beaux comme un couple d’apôtres,
Crurent que le bon Dieu les donnait l’un à l’autre ;
Ils se prirent de cœur, ils s’aimèrent d’amour,
Et leur feu mutuel grandit de jour en jour.


Ce feu devint si fort, que par une nuit brune,
Une nuit où la ville avait très peu de lune,
Tandis que tout dormait dans l’antique maison,
La pauvre jeune fille oublia sa raison,
Et laissant derrière elle une porte entr’ouverte,
Elle s’en fut dehors seule et d’un pied alerte. —
Oh ! je laisse à penser dans le mince taudis
Quelle fête ce fut ! ce fut le paradis.
Aussi ces deux enfans, ces douces créatures,
Ces deux corps si parfaits, ces royales natures,
Se dirent tant de mots, versèrent tant de pleurs,
Que la nuit tout entière écouta leurs douleurs.
Pâle et gelée, enfin, comme une neige à l’ombre,
Bianca lestement quitte l’escalier sombre.
Craintive, demi nue, et le corps tout plié,
Elle passe le pont sur la pointe du pié.
Mais l’aube était debout, et réveillant la brise,
Ses pieds frais rougissaient les grands toits de Venise.