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IL PIANTO.


SAVATOR.

Hélas ! tu ne sais pas le mal que la pensée
Fait au cœur, quand dehors elle n’est point poussée ;
Homme sensible et pur, mais homme d’action,
Tu ne peux concevoir toute ma passion,
La mortelle souffrance et le désespoir sombre
D’être enfant du soleil et de vivre dans l’ombre.
Oh ! non, tu ne sais pas ce qu’il y a d’amer
À tenir l’aile ouverte et n’avoir jamais d’air :
Et cependant, la mort vient à grandes journées,
Sur nos fronts d’un vol lourd s’abattent les années,
Et le glaive que Dieu nous remit dans la main,
Se rouille en attendant toujours au lendemain ;
Faute de nourriture, on voit mourir sa flamme,
Chaque jour on s’en va, le corps mangé par l’âme,
Et le mâle talent, solitaire et perdu,
Moisit comme un habit dans le coffre étendu ;
Le génie a besoin de liberté pour vivre,
Il faut un large verre à l’homme qui s’enivre.
Quant à moi, je suis las d’attendre l’ouragan,
De compter tous les jours sur un bond du volcan,
Le visage couvert de la pâleur du cierge,
De gémir comme eunuque embrassant une vierge,
Puisque le peuple ici dort la foudre à la main,
J’irai chercher ailleurs quelque chose d’humain.