Page:Revue des Deux Mondes - 1833 - tome 1.djvu/13

Cette page a été validée par deux contributeurs.
7
HOMMES D’ÉTAT DE LA FRANCE.

égale, avec aussi peu de ménagement et aussi peu de réserve qu’en gardait dans la session dernière M. le général Demarçay envers M. Girod de l’Ain. C’était un beau spectacle à voir que ce Périer-là, à la tribune, secouant, comme Fox, une forêt de cheveux noirs au-dessus de ses auditeurs, écrasant ses adversaires de toute la vigueur de sa parole méridionale, réveillant en sursaut les vieillards dormeurs du centre par les éclats bruyans de sa voix, et attaquant avec véhémence M. de Villèle, sorte de chiffre impassible que rien ne pouvait émouvoir.

La révolution de juillet avait singulièrement modifié Casimir Périer. Déjà, dans les deux dernières années de la restauration, entrevoyant que le but de l’opposition dont il faisait partie allait être atteint, Périer commençait à s’effrayer de son ouvrage et de l’avenir qui s’ouvrait devant lui ; et, durant deux sessions, il garda un silence obstiné qui lui valut plus d’une fois les reproches des feuilles libérales. La croix que lui donna alors Charles x, le bal de Troyes, où il dansa, je crois, avec la duchesse d’Angoulême, quelques soirées passées, avec d’autres députés, au jeu du roi, le firent accuser d’un changement de foi politique ; on prétendit qu’il avait été gagné par les séductions de quelques femmes de la cour, que l’espoir de devenir ministre des Bourbons l’avait fait souscrire à un arrangement secret par lequel il s’engageait à entraver de son influence la marche de l’opposition dans la Chambre ; et ces accusations, bien fausses certainement, ne lui furent pas épargnées sous le nouveau régime. On connaissait mal Casimir Périer. Il avait un sentiment d’orgueil qui ne pouvait s’allier avec les idées de la cour de Charles x. En lui étaient renfermées toutes les prétentions de ces fiers patriciens du moyen âge, qui espérèrent un moment renverser la noblesse et se substituer, avec leur morgue et leurs richesses, à l’aristocratie, qu’ils dépouillaient peu à peu de ses grands biens et de ses priviléges. Pour un tel homme, il n’y avait pas de place marquée dans la hiérarchie des Bourbons. M. Villèle, homme de rien, sans fortune, avait bien pu se plier à tous les caprices des princes et des grands seigneurs, se frayer lentement une route au pouvoir à travers toutes les humiliations et tous les obstacles, se trouver heureux de sa considération de parvenu, au milieu de tant d’autres hommes d’état et ministres de fortune que la cour eût to-