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IL PIANTO.

Puis il voit devant lui sa vie immense et pleine,
Comme un pieux soupir, s’écouler d’une haleine ;
Et, lorsque sur son front la Mort pose ses doigts,
Les anges près de lui descendent à la fois,
Au sortir de sa bouche ils recueillent son âme ;
Et, croisant par-dessus les deux ailes de flamme,
L’emportent toute blanche au céleste séjour,
Comme un petit enfant qui meurt sitôt le jour.


Heureux l’homme qui vit et qui meurt solitaire !
Enfant, tel est mon œuvre, et l’immense mystère
Que mon doigt monacal a tracé sur ce mur.
La forme en est sévère et le contour est dur ;
Mais j’ai fait de mon mieux, j’ai peint de cœur et d’âme
La grande vérité dont je sentais la flamme ;
Et, comme un jardinier qui bêche avec amour,
Sur mon pinceau courbé, j’ai sué plus d’un jour :
Puis, quand j’ai vu tomber la nuit sur ma palette,
J’ai croisé les deux bras, et reposant la tête
Sur le coussin sculpté de mon sacré tombeau,
Comme mes grands amis, Dante et le Giotto,
J’ai fermé gravement mon œil mélancolique
Et me suis endormi, vieux peintre catholique,
En pensant à ma ville, et croyant fermement
Voir mon œuvre et ma foi vivre éternellement. »


Dors, oh ! dors, Orcagna, dans ta couche de pierre,
Et ne r’ouvre jamais ta pesante paupière,