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REVUE DES DEUX MONDES.

le marquis de kernotriou, soirées d’un vieux manoir breton, par m. paul buessard.[1]

C’est une singulière société que celle qui vient passer les soirées dans le vieux manoir breton du marquis de Kernotriou, dit M. Paul Buessard, au commencement de son livre, et nous sommes vraiment du même avis. C’est une société bien singulière en effet.

Vous y trouvez des républicains et des doctrinaires, des légitimistes et des Philippistes, des Parisiens, des banquiers, des colonels, des marins, des classiques et des romantiques ; et tout cela joue des proverbes, tout cela se raconte à l’envi des histoires.

Et puis, lorsque l’on n’a plus rien à se dire, lorsqu’on est à bout d’esprit, d’histoires et de proverbes, l’auteur, qui est lui-même de la société du marquis de Kernotriou, intervient en personne, et se charge d’ordinaire de la partie sentimentale de la conversation.

Voici comment il se met habituellement en scène :

Il y a toujours quelque demoiselle ou quelque dame qui prend l’initiative, et dit au jeune auteur ou au jeune barde ; — c’est ainsi que l’écrivain se qualifie alternativement : — M. Paul, parlez-nous de votre Élisa.

M. Paul ne se fait jamais prier. Il sourit et se recueille, puis il parle de son Élisa et récite une élégie.

Ou bien on l’engage à se placer au piano ; et alors le jeune barde prend une guitare, parce que, suivant lui, quoique la guitare soit en opposition avec les idées du siècle, c’est le seul instrument qui se prête au développement des grâces.

Ayant ainsi choisi l’accompagnement qui lui convient, M. Paul chante des romances dont la musique et les paroles sont ordinairement de sa composition. Car, le jeune auteur daigne aussi nous l’apprendre, il n’a pas cultivé moins amoureusement l’art des Beauplan et des Rossini que celui des Lamartine et des Casimir de Lavigne ; et non-seulement il est poète pour son propre bénéfice, mais il a même essayé de dresser son Élisa à la structure du vers.

Ceci n’empêche point qu’une histoire fatale et sanglante, une histoire principale ne soit jetée et ne trouve place au milieu des autres récits, et ne se poursuive à travers les conversations et les proverbes, et sans préjudice des élégies et des romances de M. Paul.

Il nous serait difficile d’analyser cette histoire, attendu que, pour éviter probablement les répétitions de noms, M. Paul Buessard a eu l’ingénieuse idée d’en donner plusieurs à chacun de ses personnages. Il en résulte que le lecteur les confond continuellement les uns avec les autres, ce qui répand dans tout le drame une obscurité profonde et un impénétrable mystère.

Quoi qu’il en soit, le dénoûment est amené par une péripétie

  1. Chez Lecointe.