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MŒURS DES AMÉRICAINS.

grande ruche sont incessamment en quête de ce miel d’Hybla qu’on appelle argent, et nulle distraction de science ou de plaisir ne vient les détourner un moment de cette ardente poursuite. Qu’on ajoute à cette concentration de toutes les facultés vers un seul but, l’esprit d’entreprise et la sagacité qui distinguent les Américains ; qu’on y ajoute surtout une absence de probité qui le dispute à tout ce qu’on raconte des rusés habitans du Yorkshire, et l’on comprendra sans peine les effets qui en résultent.

« Rien ne saurait, dit-elle ailleurs, surpasser l’activité et la persévérance des Américains dans toute espèce de métier, de spéculation et d’entreprise qui peuvent donner un bénéfice pécuniaire. J’ai entendu dire à un Anglais qui avait long-temps résidé aux États-Unis, que jamais il n’avait surpris deux Américains causant ensemble dans la rue, sur la grande route ou au milieu des champs, au théâtre, au café, ou dans l’intérieur d’une maison, sans que le mot de dollar ne fût venu frapper son oreille. Une telle unité de but, une telle sympathie de sentimens ne saurait, je crois, se rencontrer ailleurs, si ce n’est peut-être dans le nid d’une fourmi. L’effet est conséquent à la cause. L’éternelle contemplation de ce but sordide doit rétrécir l’esprit, et ce qui est pire encore, endurcir la conscience. Je ne sais rien qui prouve mieux la dégradation morale engendrée par cette avidité universelle et continue, que la manière dont les Américains parlent de leurs compatriotes des états du nord. Tous conviennent que ces états présentent un développement admirable d’industrie et de prospérité, et ils ne cessent de les citer quand ils veulent faire l’éloge de leur incomparable pays. Et, toutefois, je n’ai jamais rencontré un seul Américain, à quelque partie de l’Union qu’il appartînt, qui ne représentât les habitans de ces mêmes états comme les plus rusés, les plus artificieux, les plus cupides et les plus fourbes des hommes. Les Yankees, c’est le nom spécial qu’on leur donne, s’attribuent à eux-mêmes ces excellentes qualités, et se vantent, avec un sourire de complaisance, qu’aucun peuple de la terre ne peut lutter avec eux dans l’art de tricher en affaires. Je les ai entendus raconter sans rougir des traits d’habileté de leurs amis et connaissances, qui suffiraient parmi nous pour bannir à jamais leurs héros de la société des honnêtes gens ; et tout cela était dit avec une simplicité qui laissait douter si le narrateur lui-même savait ce que signifiaient les mots d’honnêteté et d’honneur. Cependant les Américains se proclament hautement le peuple le plus moral de la terre ; en conversation, dans les journaux, à l’église, j’ai entendu partout répéter cette assertion. J’ai passé quatre ans à en chercher avec conscience et bonne foi les fondemens, et mon opinion bien arrêtée est que la moyenne de la moralité américaine est de beaucoup inférieure à celle des peuples de l’Europe.