Page:Revue des Deux Mondes - 1832 - tome 8.djvu/742

Cette page a été validée par deux contributeurs.
732
REVUE DES DEUX MONDES.

pointus qui leur viennent de l’Égypte ; puis avec le bâton pastoral, sous un dais, un vieillard qui se faisait porter la queue par deux acolytes.

Quand je rencontre une telle procession avec une orgueilleuse escorte militaire, une pensée douloureuse me saisit aussitôt. Je crois voir notre Sauveur lui-même entouré de lances et traîné au tribunal de Caïphe. Les étoiles semblaient de mon avis, car elles s’étaient voilées la face ; mais leur lumière était inutile, des feux de joie brillaient à toutes les croisées ; à tous les coins de rue on avait planté des torches de poix, et chaque prêtre avait la sienne. Les capucins avaient à leur suite des petits garçons qui leur servaient de porte-flambeaux, et dont les jolis visages frais se levaient avec curiosité vers ces vieilles barbes sérieuses ; les autres moines avaient des jeunes gens pour cet office, et les prêtres faisaient porter leurs flambeaux par d’honnêtes bourgeois. Enfin, l’archevêque, celui qui marchait sous le dais, et dont la queue était soutenue par deux pages à barbe grise, avait à ses côtés de grands laquais en livrées bleues avec des galons jaunes, portant cérémonieusement des flambeaux de bougies blanches, comme s’ils allaient servir à la cour.

Fuyant toute cette foule, je m’étais réfugié dans une église solitaire, où je trouvai une femme voilée et agenouillée devant l’image de la Madone. La lampe suspendue à la voûte jetait une douce lumière grise sur la mère des douleurs, sur la belle Vénus Dolorosa ; mais quelques rayons mystérieux tombaient de temps en temps, comme à la dérobée, sur les belles formes de celle qui priait sous son voile. Elle était agenouillée sans mouvement sur une des marches de pierre de l’autel ; mais la lampe vacillante agitait les ténèbres qu’elle projetait, les approchait tantôt de moi et tantôt les faisait se retirer précipitamment comme par effroi. Les ombres noires me semblèrent tout à coup de ces Maures discrets, qui portent des messages d’amour dans les harems. Cette femme occupait toute ma pensée. Enfin elle se leva…

Oui, c’était elle ! Je la suivis vivement jusqu’à la porte de l’église ; et lorsqu’elle releva son voile, près de l’eau bénite, je vis le visage de Francesca mouillé de larmes ! Une rose blanche, éclairée par les rayons de la lune et ornée de perles de rosée ! — Francesca, m’aimes-tu ? Je l’interrogeai beaucoup, elle me répondit peu. Je l’accompagnai jusqu’à l’hôtel de la Croce di Malta, où elle logeait avec Mathilde. Les rues étaient redevenues désertes, et les maisons semblaient dormir les yeux clos, avec leurs croisées fermées. Une large trouée de nuages se fit au ciel, et sur un fond vert pâle on vit le croissant de la lune, comme une gondole d’argent sur une mer d’émeraudes. En vain je suppliai Francesca de lever les yeux vers notre ancienne confidente ; elle baissait la tête d’un air rê-