Page:Revue des Deux Mondes - 1832 - tome 8.djvu/729

Cette page a été validée par deux contributeurs.
719
LES BAINS DE LUCQUES.

Il faut savoir que le marquis était devenu un excellent catholique, qui suivait toutes les cérémonies de la sainte église, et qui, pendant son séjour à Rome, avait un chapelain par le même motif qu’il entretenait une danseuse à Paris et des chevaux de course à Londres.

M. Gumpel fait en ce moment sa prière, dit Hyacinthe, en me montrant le cabinet de son maître ; et il ajouta : Il s’agenouille ainsi tous les soirs devant la prima dona avec l’enfant Jésus. C’est un morceau magnifique qui lui a coûté six cents francesconi.

— Et vous, M. Hyacinthe, pourquoi ne vous agenouillez-vous pas derrière lui ? ou bien, ne seriez-vous pas ami de la religion catholique ?

— J’en suis ami, et je n’en suis pas ami, répondit celui-ci en hochant la tête d’un air réfléchi. C’est une bonne religion pour un baron de distinction qui n’a rien à faire tout le jour, et pour un amateur des arts ; mais ce n’est pas une religion pour un homme qui a des affaires, et surtout pas une religion pour un collecteur de loterie. Il faut que j’écrive exactement chaque numéro qu’on prend, et si la cloche catholique vient me faire aux oreilles bum ! bum ! bum ! ou l’encens catholique m’éblouir les yeux, je perds la tête, j’écris de faux numéros, et il peut arriver de grands malheurs. J’ai souvent dit à M. Gumpel : Votre Excellence est un homme riche, et peut être catholique tant qu’elle veut ; la cloche catholique peut vous faire perdre l’esprit, vous n’aurez pas moins à manger et à boire ; mais moi, pauvre homme, il faut que je ramasse toute mon intelligence pour gagner quelque chose. M. Gumpel dit bien que cela est nécessaire pour la civilisation, et que si je ne suis pas catholique, je ne comprendrai rien aux tableaux du Correchio, du Carrachio et du Carravachio ; mais j’ai toujours pensé que le Correchio, le Carrachio et le Carravachio ne me tireraient pas d’affaire, si personne ne venait jouer à ma loterie. Avec cela, il faut que je vous avoue, M. le docteur, que la religion catholique ne me fait aucun plaisir. Il semble toujours que le bon Dieu vient de mourir, et on entend souvent une musique d’enterrement qui vous rend mélancolique : je vous le dis, ce n’est pas une religion pour un homme comme moi.

— Mais, M. Hyacinthe, comment trouvez-vous la religion protestante ?

— Celle-ci n’est pas trop raisonnable, M. le docteur ; et, s’il n’y avait pas d’orgue, ce ne serait pas une religion du tout. Entre nous soit dit, cette religion ne gâte rien, elle est pure comme un verre d’eau ; mais aussi elle ne sert à rien. Je l’ai mise à l’épreuve, et cette épreuve me coûte quatre marcs et quatorze shillings.

— Comment donc, mon cher monsieur Hyacinthe ?

Voyez-vous, M. le docteur, je me suis dit : C’est sans doute une reli-