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SCÈNES HISTORIQUES.

plice, qui n’est qu’une femme, qui est seule, que je puis briser d’un souffle, que je puis étouffer entre mes deux mains.

— Oh ! qu’allez-vous faire ? s’écria Catherine.

De Gyac la prit par le bras. — Debout, madame, dit-il, et il la dressa devant lui, — debout !…

Catherine jeta les yeux sur elle ; sa robe blanche était toute tachée de sang, à cette vue un éblouissement passa sur ses yeux, sa voix s’éteignit dans sa gorge, elle étendit les bras et s’évanouit.

De Gyac l’enleva pliée sur son épaule, descendit l’escalier, traversa le jardin, posa son fardeau sur la croupe de Ralff, l’y assujettit à l’aide de son écharpe, et se mit en selle, liant Catherine autour de son corps avec le ceinturon de son épée[1].

Malgré son double poids, Ralff partit au galop, dès qu’il sentit l’éperon de son maître.

De Gyac dirigea sa course à travers terres : devant lui s’étendaient à l’horizon les vastes plaines de la Champagne, et la neige, qui commençait à tomber à gros flocons, couvrait les champs d’un vaste linceul, et leur donnait l’aspect âpre et sauvage des steppes sibériennes ; nulle montagne ne se découpait dans le lointain, des plaines, toujours des plaines ; seulement d’espace en espace, quelques peupliers blanchis se balançaient au vent, pareils à des fantômes dans leurs suaires ; nul bruit humain ne troublait ces solitudes désolées ; le cheval, dont les pieds retombaient sur un tapis de neige, redoublait ses élans silencieux, son cavalier lui-même retenait sa respiration, tant il semblait qu’au milieu de cette nature glacée, tout dût prendre l’aspect et imiter le silence de la mort !

Après quelques minutes, les flocons de neige qui tombaient sur sa figure, le mouvement du cheval qui brisait son corps faible et diaphane, le froid saisissant de la nuit, rappelèrent Catherine à la vie. En reprenant ses esprits, elle crut être en proie à l’un de ces songes douloureux, où nous croyons que quelque dragon ailé nous emporte à travers les airs. Bientôt une vive douleur à

  1. Guillaume de Gruel.