l’ai reçue ; que je l’ai suivi ; que cette nuit (il jeta les yeux sur sa main droite), nuit de délices pour vous, nuit d’enfer pour moi, me coûte mon âme ? Vous ne devinez pas que, lorsqu’il entra au château de Creil, j’y entrai avant lui ; que, lorsque vous passâtes enlacés aux bras l’un de l’autre dans cette sombre galerie, je vous voyais, j’étais là, je vous touchais presque ? Oh ! oh ! vous ne devinez donc rien ? il faut donc tout vous dire ?…
Catherine épouvantée tomba sur ses mains et ses genoux, en criant : Grâce ! grâce !…
— Et dites maintenant, continua de Gyac en croisant ses bras sur sa poitrine, et en secouant la tête, vous dissimuliez votre honte et moi ma vengeance ; mais quel est de nous deux le maître en dissimulation ?… Ah ! ce duc, ce grand vassal orgueilleux, ce prince souverain que les serfs de vastes domaines appelaient en trois langues duc de Bourgogne, comte de Flandre et d’Artois, palatin de Malines et de Salins, dont un mot mettait cinquante mille hommes d’armes sur pied dans ses six provinces, il a cru, ce prince, ce duc, ce palatin, qu’il était assez fort et assez puissant pour me faire affront, à moi, Pierre de Gyac, simple chevalier ! et il l’a fait, l’insensé !… Eh bien ! je n’ai rien dit, moi ; je n’ai point écrit de lettres souveraines ; je n’ai point convoqué mes hommes d’armes, mes vassaux, mes écuyers et mes pages ; non, j’ai enfermé la vengeance dans mon sein et je lui ai donné mon cœur à ronger… puis, quand le jour est venu, j’ai pris mon ennemi par la main comme un faible enfant, je l’ai conduit à Tanneguy-Duchâtel, et j’ai dit : Frappe, Tanneguy !… et maintenant, — il se mit à rire convulsivement, — maintenant cet homme qui tenait sous sa domination des provinces à couvrir la moitié du royaume de France, cet homme, il est couché dans la boue et dans le sang, et ne trouvera peut-être pas six pieds de terre pour reposer tranquille pendant l’éternité.
Catherine était à ses pieds, criant merci, se roulant sur le verre brisé, qui lui coupait les mains et les genoux.
— Eh bien ! madame, vous entendez, continua de Gyac, malgré son nom, malgré sa puissance, malgré ses hommes d’armes, je me suis vengé de lui ; jugez si je me vengerai de sa com-