Elle se leva, prit un petit sifflet d’argent pour appeler une de ses femmes. Elle allait le porter à sa bouche, lorsque son mari lui arrêta la main.
— Merci, madame, merci, dit de Gyac, il est inutile d’appeler ; ce qu’il y a là suffira : donnez-moi seulement un verre.
Catherine alla chercher elle-même l’objet que lui demandait son mari. Pendant qu’elle s’éloignait, de Gyac tira vivement un petit flacon de sa poitrine, et vida la liqueur qu’il contenait dans le verre à moitié plein resté sur la table[1]. Catherine revint sans s’être aperçue de ce qui venait de se passer.
— Voici, monseigneur, dit-elle en versant du vin dans le verre et en le présentant à son mari ; voici, buvez à moi.
De Gyac trempa le bout de ses lèvres dans le verre, comme pour lui obéir.
— Est-ce que vous ne continuez pas votre repas ? dit-il.
— Non, j’avais fini lorsque vous êtes arrivé. — De Gyac fronça le sourcil et jeta les yeux sur le verre de Catherine.
— Vous ne refuserez pas, du moins je l’espère, continua-t-il, de faire raison à mon toast, comme j’ai fait raison au vôtre ; — et il présenta à sa femme le verre empoisonné.
— Et quel est ce toast, Monseigneur ? dit Catherine en le prenant.
— Au duc de Bourgogne ! répondit de Gyac.
Catherine, sans défiance aucune, inclina la tête en souriant, porta le verre à sa bouche, et le vida presque entièrement. De Gyac la suivait des yeux avec une expression infernale. Quand elle eut fini, il se prit à rire. Ce rire étrange fit tressaillir Catherine ; elle le regarda étonnée.
— Oui, oui, dit de Gyac, comme répondant à cette interrogation muette ; oui, vous vous êtes tellement pressée de m’obéir, que je n’ai pas eu le temps d’achever de prononcer mon toast.
— Que vous restait-il à dire ? reprit Catherine avec un vague sentiment de crainte ; ce toast n’était-il pas complet, ou n’ai-je pas bien entendu ? — Au duc de Bourgogne !…
- ↑ Guillaume de Gruel. — Mémoires concernant la Pucelle d’Orléans.