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SCÈNES HISTORIQUES.

sur le seuil ; la belle Catherine était seule et assise, le coude appuyé sur une petite table sculptée, couverte de fruits ; son verre à moitié vide annonçait qu’elle avait interrompu une légère collation pour se laisser entraîner par son cœur à l’une de ces rêveries de jeune femme, si douce à contempler pour celui qui en est l’objet, si infernale lorsque l’évidence crie à la jalousie : Ce n’est pas toi qui les causes ; ce n’est point à toi que l’on pense.

De Gyac ne put supporter plus long-temps cette vue : il était entré sans qu’on l’entendît, tant la préoccupation de Catherine était grande ! Il repoussa tout à coup la porte avec violence ; Catherine jeta un cri, se levant tout debout, comme si une main invisible l’eût soulevée par les cheveux. Elle reconnut son mari : — Ah ! c’est vous ? dit-elle ; et, passant tout à coup de l’expression de la frayeur à celle de la joie, elle força en même temps tous ses traits à sourire.

De Gyac regarda avec amertume cette délicieuse figure qui obéissait avec tant d’abandon tout-à-l’heure aux impressions du cœur, avec tant d’intelligence maintenant aux volontés de l’esprit. Il secoua la tête et alla s’asseoir près d’elle sans répondre : jamais cependant il ne l’avait vue aussi belle.

Elle lui tendit une main effilée et blanche, toute couverte de bagues, et dont le bras nu se perdait, à compter du coude, dans de larges manches tombantes et garnies de fourrures. De Gyac prit cette main, la regarda avec attention, retourna le chaton de l’un des anneaux qui se trouvait en dedans : c’était celui dont il avait vu l’empreinte sur le cachet de la lettre écrite au duc. Il y retrouva l’étoile perdue dans un ciel orageux ; il lut les mots qui étaient gravés au-dessous d’elle. — La même, murmura-t-il ; la devise ne mentira pas.

Cependant Catherine, que cet examen inquiétait, essaya d’y faire diversion. Elle passa son autre main sur le front de Gyac : quoique pâle, il était brûlant.

— Vous êtes fatigué, monseigneur, dit Catherine ; vous devez avoir besoin, voulez-vous que j’appelle quelqu’un ?… Ce repas de femme, continua-t-elle en souriant, est un peu trop frugal pour un chevalier affamé.