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SCÈNES HISTORIQUES.

rentes qui ressemblaient au délire, essayant de saisir, au milieu d’elles, cette volonté d’homme que son cerveau irrité n’avait la force ni de poursuivre ni de fixer, et qui, en lui échappant toujours, réveillait en son front mille nouvelles pensées qui n’avaient avec elle aucune relation. Il pressentait que dans ce chaos le reste de sa raison allait lui échapper ; il pressait sa tête entre ses deux mains comme pour l’y retenir : la terre tournait sous lui ; il avait des bruissemens dans les oreilles ; il passait des lueurs devant ses yeux fermés ; il sentait enfin la folie infernale s’abattre sur sa tête chauve, lui rongeant le crâne avec ses dents de feu.

Dans ce moment suprême, la porte, dont la garde était confiée au sire de Gyac, s’ouvrit doucement ; un jeune homme s’y glissa léger comme une ombre, vint s’appuyer sur le dos du fauteuil du vieillard, et après l’avoir contemplé un instant avec compassion et respect, il se pencha à son oreille et ne dit que ces deux mots : « Mon père ! »

Ces paroles produisirent un effet magique sur celui auquel elles étaient adressées : aux accens de cette voix, ses mains s’écartèrent, sa tête se releva, il demeura le corps plié, la bouche haletante, les yeux fixes, n’osant se retourner encore, tant il craignait d’avoir cru entendre, et de n’avoir pas entendu.

— C’est moi, mon père, dit une seconde fois la voix douce ; et le jeune homme, tournant autour du fauteuil, vint doucement se mettre à genoux sur le coussin où reposaient les deux pieds du vieillard.

Celui-ci le regarda un instant d’un œil hagard ; puis, tout-à-coup poussant un cri, il lui jeta les bras autour du cou, serra cette tête blonde sur sa poitrine, appuyant ses lèvres sur ses cheveux avec un amour qui ressemblait à de la fureur.

— Oh ! oh ! dit-il d’une voix sanglotante, oh ! mon fils, mon enfant, mon Charles ; et les larmes jaillissaient de ses yeux. — Oh ! mon enfant bien-aimé, c’est toi, toi ! dans les bras de ton vieux père ! est-ce vrai, est-ce vrai ? parle-moi donc encore… toujours.

Puis il éloignait de ses deux mains la tête de l’enfant, fixait ses yeux hagards sur les yeux de son fils ; et celui-ci, qui ne pouvait parler non plus, tant sa voix était noyée dans les larmes ! lui fai-