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mocraties antiques s’isolaient à plaisir ; elles fermaient la porte de la cité ; elles appelaient barbare le genre humain. Ces aspérités ne s’adoucirent que sur le déclin de la liberté ; quand, à Rome, le patriciat cédait sous l’effort du plébéien, le plébéien amolissait son propre caractère, et mêlait à l’énergie du tribun une douceur humaine : voyez comment Plutarque nous représente Caius Gracchus, ce précurseur de César. « Le peuple, dit-il, ne pouvait se lasser de l’admirer en le voyant sans cesse entouré d’entrepreneurs, d’artistes, d’ambassadeurs, de magistrats, de soldats, de gens de lettres, leur parler avec douceur sans rien perdre de sa dignité dans des conversations familières où il savait si bien s’accommoder au caractère de chacun d’eux, que ceux qui l’accusaient de violence, d’emportement et de superbe, étaient convaincus de calomnie, tant sa popularité éclatait dans le commerce ordinaire et dans les actions communes de la vie, bien plus encore que dans les discours qu’il prononçait du haut de la tribune. » Cette humanité était nouvelle et révolutionnaire dans la cité antique ; elle faisait froncer le sourcil aux patriciens avec raison, car elle préparait des mœurs nouvelles que n’avait pas allaitées la louve de Romulus. Loin de se tenir pour suspectes et hostiles, les nations modernes doivent se suivre du regard avec une affectueuse sollicitude : elles concourent ensemble, et peuvent se demander entre elles qui la première touchera le but, et se reposera ; l’avenir seul nous indiquera le peuple privilégié, qui le premier entrera dans le port à pleines voiles, auquel ses frères pourront dire :


Vivite felices, quibus est fortuna peracta
Jam sua : nos alia ex aliis in fata vocamur.
Vobis parta quies : nullum maris æquor arandum :
Arva neque Ausoniæ, semper cedentia retrò,
Quærenda.

Æneidos, lib. 3.


Comment certains Allemands ont-ils pu, monsieur, vouloir réveiller, contre la France, les fureurs de votre patriotisme ?