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caution pour les éloigner. Ils suspendent leurs hamacs dans le premier endroit venu, au milieu des forêts, laissent éteindre le feu qu’ils avaient allumé pour faire cuire leurs alimens, et dorment en pleine sécurité. Mais comme toute règle a ses exceptions, il leur arrive de temps en temps quelques accidens fort rares, à la vérité, car je n’en ai vu que trois pendant un séjour de vingt mois à Cayenne. Le premier arriva à un Palicour qui pêchait seul des tawarous[1] dans les savanes noyées d’Ouassa, à l’embouchure de l’Oyapock, et qui fut mis en pièce par un jaguar qui fondit sur lui à l’improviste. Sa famille, en le cherchant le lendemain, ne trouva que les débris de son corps. Le second eut lieu sur les bords de la mer, près de Sinnamary. Un Galibi, qui était venu y pêcher, installa le soir son hamac sous un petit abri, et laissa son feu s’éteindre. Un jaguar qui venait sans doute faire aussi la pêche, s’approcha de lui, et d’un coup de pate fit tomber à terre le hamac et le dormeur. Le malheureux eut le sternum et trois côtes du côté droit enlevés, et poussa des cris qui mirent l’animal en fuite. On le trouva dans cet état quelques heures après, et on l’apporta à Sinnamary, où je me trouvais alors, et où il expira en arrivant. Le dernier événement se passa à l’embouchure de la rivière de Cachipour, où un habitant avait établi une pêcherie à l’aide d’Indiens qu’il avait engagés à son service. Chaque nuit les jaguars venaient dévorer les têtes et les restes des poissons que les Indiens jetaient imprudemment à quelque distance du carbet qui leur servait de demeure. Un de ces animaux y entra une nuit, et donna un coup de pate dans le hamac d’une jeune Indienne qu’il blessa mortellement. Ses compatriotes, frappés d’une terreur superstitieuse, abandonnèrent la pêche, malgré tous les efforts que fit l’habitant pour les retenir.

Au Brésil et dans la Guyane, on chasse le jaguar avec des chiens, comme à Buenos-Ayres ; mais on n’y détruit qu’un bien plus petit nombre de ces animaux. On trouve rarement des peaux de jaguar à acheter à Rio-Janeiro, Bahia, et à Cayenne ; on en tue à peine cinq ou six chaque année. L’administration de la colonie encourage cette destruction et accorde une prime de cinquante francs par chaque peau qu’on lui présente. Ce sont principalement les habitans des savanes de Kourou à Organabo qui se livrent à cette chasse, leurs propriétés consistant presque entièrement en troupeaux qu’ils ont intérêt à défendre contre ces animaux. On n’en trouve plus dans l’île même de Cayenne, où ils étaient si abondans lors de la fondation de la colonie, que les colons furent plusieurs fois sur le point d’abandonner leurs plantations.

  1. Espèce de tortue d’eau douce.