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ASPIRANT ET JOURNALISTE.

glu impériale ! Moi, je n’aurai pas plus de ménagement pour lui que je n’en ai eu pour l’autre. »

J’ai eu toujours à cœur la mort de Louis xvi ; j’avais presque appris à lire dans le Cimetière de la Madeleine, et j’aimais ce roi faible et malheureux dont je ne comprenais pas les crimes, dont je comprenais moins encore le jugement : j’éprouvai donc le besoin de protester contre ces dernières paroles :

— Ah ! monsieur, peut-on se vanter de la mort d’un homme, d’un roi que j’ai tant vu pleurer ! n’était-ce pas… ?

— Oui, répondit doucereusement celui des deux conventionnels que vous savez, oui, nous sommes peut-être allés un peu loin.

— Un peu loin, interrompit l’autre en me prenant le bras, et en me le serrant avec une force que la passion triplait chez ce vieillard, vous n’y étiez pas, jeune homme, et vous ne pouvez comprendre la nécessité de cette mort ! Qu’il vous suffise de savoir que l’arrêt était indispensable. Louis xvi trahissait ; soit faiblesse ou autrement, il entretenait avec l’étranger des correspondances coupables, j’en suis sûr ; nous avons dû l’en punir. Je ne dis point que ce ne fût pas un honnête particulier, un ouvrier intelligent, mais c’était un mauvais roi pour une république, et la république était indispensable. Maintenant encore, vous me présenteriez cent fois Louis xvi avec toutes ses vertus, que cent fois je lui ferais couper la tête. »

Ce sang-froid à parler d’une tête coupée me confondit. Je regardai fixement mon tueur de rois, comme pour savoir si c’était entêtement d’opinion, cruauté, faux point d’honneur, qui fait soutenir ce qu’on a fait de mal, même quand on a la certitude qu’on a eu tort, ou conviction profonde ; je vis qu’il n’y avait dans ce cœur ni remords, ni cruauté, ni obstination, mais fanatisme sincère. Quant au marquis, je remarquai qu’il était mal à son aise de la franchise de notre interlocuteur ; la mort de Louis xvi ne lui paraissait plus, sans doute, vue du point où nous étions placés, une chose aussi nécessaire qu’il l’avait cru jadis. Il était plus libre qu’autrefois, et ne se voyait pas obligé d’obéir aux ordres d’une majorité qui avait les cachots et les bour-