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ASPIRANT ET JOURNALISTE.

cheval furent portés, c’est le mot propre, de la grille à la porte du pavillon, comme ils l’avaient été huit jours auparavant dans la rue de la Barre à Lyon, en descendant du pont de la Guillotière. On pressait tellement l’empereur, qu’il fut plusieurs fois obligé de prier qu’on s’éloignât un peu de lui, et d’avertir qu’on lui faisait mal.

Dans cette cour, l’enthousiasme était au comble, mais tout se passait assez froidement sur la place. On criait peu, on regardait ; on était plus surpris que joyeux, parce que tout cela avait l’attrait d’un drame encore à sa péripétie. Et puis, ce peuple qui était sur le Carrousel se rappelait que très-peu de mois auparavant, il avait fait au comte d’Artois et à Louis xviii une réception où la joie était allée jusqu’au délire. Il lui fallait voir l’empereur au grand jour ; il lui fallait un de ces regards fascinateurs dont Napoléon savait si bien l’effet sur les masses mobiles du peuple parisien, pour prendre son parti d’une nouvelle inconséquence, d’un retour à ses anciennes affections. Le temps était sombre, et la nuit close ; il y avait des patrouilles dans les rues ; beaucoup de boutiques s’étaient fermées, parce que l’opinion de la plupart des bourgeois était qu’un combat devait avoir lieu dans la ville entre ce qui restait encore de la maison du roi, et ce qui arrivait de la vieille armée avec Napoléon : ce doute refroidit beaucoup l’entrée de l’empereur ; il n’y eut que peu de cris hors l’enceinte des Tuileries. La nuit ne fut pas sans inquiétude ; Paris attendait le lendemain pour savoir s’il devait croire à l’empereur, ou si ce n’était qu’une apparition fantastique dont il avait été frappé.

Le jour vint enfin. Le peuple était allé en foule, dès six heures, voir le soleil se lever sur le pavillon tricolore. Quelques groupes de curieux étaient restés au Carrousel, amusés par le bivouac du bataillon d’Excelmans. L’empereur se montra au balcon de bonne heure ; un cri général : « Le voilà ! le voilà ! Vive l’empereur ! » salua son arrivée. Il était sans chapeau et remercia de la main. Il avait sa capote grise, usée, trouée ; reste de cette capote historique qu’il n’avait pas manqué de mettre aussi en entrant à Lyon, pour frapper la population lyonnaise du spectacle