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GÉRARD DE ROUSSILLON.

conque livrera le comte au roi recevra en récompense sept fois le poids en or et argent du corps du prisonnier. Plusieurs des cent messagers viennent de passer par là, et la terrible nouvelle est répandue dans tout le pays. « Seigneur, croyez-moi, dit alors la comtesse à Gérard ; évitons les châteaux et les villes, tous les lieux où il y a des chevaliers et des hommes en pouvoir ; la foi est rare et la cupidité grande. » Ce conseil est aussitôt adopté, de même que celui non moins nécessaire de changer de nom. Dès ce moment, Gérard de Roussillon ne s’appelle plus que le pauvre Ioland.

Je suis obligé d’abréger le détail des humiliations et des souffrances qui attendent les deux proscrits partout où ils se présentent. J’observerai seulement que, dans toutes ces épreuves, le courage et la tendresse de Berthe ne se démentent jamais. Elle sauve, pour ainsi dire, à chaque instant, la vie à son époux ; à chaque instant, elle relève son courage abattu.

Un jour, Gérard et Berthe se trouvent à l’entrée d’une grande forêt, dans l’intérieur de laquelle ils entendent un grand fracas, comme de marteaux et de cognées. Ils s’avancent du côté d’où vient le bruit, et arrivent à un grand feu autour duquel travaillent deux hommes noirs et hideux ; ce sont des charbonniers auvergnats, en possession de fournir de charbon la ville d’Aurillac. Voyant Gérard en haillons, de haute taille et avec toutes les apparences d’une force de corps extraordinaire, ils croient avoir trouvé l’homme dont ils ont besoin, et lui proposent de porter vendre à Aurillac le charbon fait par eux. Gérard accepte, comme par une sorte de curiosité de voir jusqu’où peut aller sa misère. Il charge sur ses épaules un énorme sac de charbon qu’il porte à Aurillac, et sur la vente duquel il gagne sept deniers. Il y a long-temps que le puissant Gérard n’a touché une si forte somme : le métier lui paraît bon, et il s’y dévoue, tandis que la comtesse exerce, de son côté, celui de couturière, dans un faubourg de la petite ville d’Aurillac.

Il y avait déjà vingt-deux ans que Gérard et Berthe vivaient de la sorte ; ils semblaient avoir perdu tout souvenir de leur condition première, et tout désir comme tout espoir d’y revenir ja-