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vait à chaque instant ramener la guerre. Boson, un des neveux de Gérard, jeune homme du caractère le plus fougueux, n’aimant et ne cherchant que des occasions de combattre, veut venger la mort de son père Odilon, tué à la bataille de Vaubeton, par le vieux duc Thierry, un des chefs du parti royal ; il tue par représailles deux neveux du duc. Gérard est impliqué dans cette querelle ; les vieilles rancunes se raniment, et la guerre recommence entre le roi et le comte. Les incidens de cette guerre ne sont ni assez variés, ni assez intéressans pour supporter la sécheresse d’un résumé en langue moderne et en prose. Il me suffira de dire qu’à travers diverses négociations orageuses et superflues, la guerre se prolonge plusieurs années avec des désastres et des succès à peu près égaux pour les deux adversaires. Mais à la fin Gérard essuie une défaite dont il ne peut plus se relever, et son imprenable château de Roussillon est une seconde fois livré au roi par trahison. Il s’échappe à grande peine de la mêlée, suivi d’un petit nombre de chevaliers blessés, que la mort éclaircit à chaque pas de la fuite. Il se dirige vers les Ardennes, et quand il y arrive, il n’a plus avec lui qu’un seul homme mortellement blessé, et sa femme Berthe, qui l’a rejoint à l’issue de la bataille.

C’est dans des situations bien différentes de celles où nous avons vu jusqu’à présent le fier Gérard, que le romancier va nous le montrer désormais ; c’est au degré le plus bas de l’humiliation et de la misère, mais gardant au fond de son ame son orgueil, sa haine pour Charles, et l’espoir de se venger.

Arrivé dans la forêt des Ardennes, et après avoir erré quelque temps à l’aventure, il fait halte chez un pauvre ermite, et passe la nuit autour d’un feu allumé au pied de la croix de l’ermitage. Là, épuisé d’émotions douloureuses et de fatigue, Gérard tombe endormi, incapable de s’apercevoir de rien de ce qui se passe autour de lui. Il ne voit point le dernier de ses compagnons rendre le dernier souffle ; il n’entend point les voleurs qui, s’approchant à petit bruit, lui enlèvent ses armes, son cheval et celui de Berthe. Tant que Gérard avait eu des armes et un cheval, il s’était cru encore quelque chose, il n’avait point désespéré de sa