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ROMANS PROVENÇAUX.

fut rejeté sur les côtes d’Italie, d’où il retourna dans le Toulousain. Il se rendit auprès de la dame du Bousquet, à laquelle il conta ses propres aventures, et annonça la mort de leur commun seigneur, ne doutant point que Raimond n’eût péri dans le naufrage.

La dame feignit l’affliction convenable en cas pareil ; mais c’était une femme d’humeur volage, qui fut charmée au fond du cœur d’être débarrassée d’un mari qu’elle n’aimait pas. Elle se vit bientôt entourée d’amans nombreux, parmi lesquels il s’en trouva un dont elle devint éperdument amoureuse, et auquel elle livra les biens et la seigneurie de Raimond.

Cependant celui-ci n’était point mort, comme l’avait cru et annoncé son serviteur. Il avait saisi une des planches du navire fracassé, et avec l’aide de sainte Foi qu’il avait invoquée sans relâche, il avait flotté trois jours entiers sur les vagues, sans apercevoir ni créature humaine, ni monstre marin, toujours poussé par les vents vers les côtes d’Afrique. Hors de lui-même, et comme anéanti d’épuisement, il était sur le point d’expirer, lorsqu’il fut rencontré par des pirates du pays de Turlande, pays probablement de la création de notre légendiste. Les pirates étonnés le prennent, le recueillent dans leur navire, et lui demandent son pays et son nom. Mais, dans l’état de faiblesse et de stupeur où il était, Raimond, bien loin de pouvoir répondre à leurs questions, ne les entendait même pas. Bon gré mal gré les pirates lui laissèrent le temps de revenir à lui ; et regagnant la côte, ils l’y descendirent avec eux.

La nourriture et les soins qu’on lui donna, lui ayant rendu un peu de force, il fut de nouveau questionné, et répondit qu’il était chrétien ; mais, au lieu d’avouer son rang et sa profession d’homme de guerre, il se donna pour un villageois, pour un homme accoutumé au travail des champs. À cette déclaration, on lui mit une bêche à la main, et on lui donna un champ à exploiter. Bientôt accablé d’un travail auquel il n’était point accoutumé, et auquel se refusaient ses mains enflées et déchirées, il s’acquitta mal de sa tâche, et fut en conséquence sévèrement fustigé. Se ravisant alors, il avoua ne savoir d’autre métier que la guerre,