incomplets, comparativement à l’histoire de Turpin, cependant assez courte, ne pouvaient être que des chants du genre de ceux dont j’ai parlé, c’est-à-dire plus courts encore et plus sommaires que la fameuse histoire, probablement aussi faux, mais parfois du moins plus poétiques.
Maintenant, j’irai plus loin, et me permettrai une conjecture qui, je l’avoue, me paraît spécieuse et motivée. Je ne puis m’empêcher de regarder la prétendue chronique de Turpin comme une sorte d’interpolation et d’amplification monacale, en mauvais latin, de quelques chants populaires en idiome vulgaire, sur la descente de Charlemagne en Espagne. Une fois entrés dans le corps de l’insipide légende, la plupart de ces chants, les mauvais et les médiocres, ont dû aisément s’y confondre, et il serait impossible de les signaler aujourd’hui sur un fonds avec lequel ils se sont trouvés, pour ainsi dire, en harmonie par leur platitude et leur fausseté. Mais il se rencontre çà et là, dans cette chronique, des traits isolés, des passages qui, si altérés qu’on les suppose, sont encore empreints de je ne sais quel caractère de poésie enthousiaste et sauvage, par lequel ils ressortent vivement de la paraphrase monacale qui les enveloppe ou les sépare.
Tel me paraît, entre autres, le passage où sont décrits les derniers momens et la mort de Roland. J’essaierai d’en donner une idée. Il faut dire d’abord, pour bien établir la situation du héros, que Charlemagne a repassé les Pyrénées, et se trouve déjà, avec le gros de l’armée, dans les plaines de Gascogne. Vingt mille chrétiens, restés en arrière, ont été exterminés à Roncevaux, à l’exception d’une centaine qui se sont dispersés et cachés dans les bois ; Roland les rallie au son de son fameux cor d’ivoire, se jette une seconde fois parmi les Sarrasins, dont il tue un grand nombre, et entre autres le roi sarrasin Marsile. Mais, dans ce second combat, les cent chrétiens qui restaient du premier carnage, succombent, à l’exception de Roland et de trois ou quatre autres, qui se dispersent de nouveau dans les bois. Maintenant, je vais traduire le passage, en imitant, autant que me le permettra le besoin d’être clair, le vieux style de la chronique.