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REVUE DES DEUX MONDES.

« Je m’agitais au port, navigateur sans monde,
« Mais aimant, espérant, ame ouverte et féconde !
« Oh ! que ces dons tardifs où se heurtent mes yeux,
« Devaient m’échoir alors, et que je valais mieux ! »

Et le discours bientôt sur quelque autre pensée
Échappa, comme une onde au caprice laissée ;
Mais ce qu’ainsi ta bouche aux vents avait jeté,
Mon souvenir profond l’a depuis médité.

Il a raison, pensais-je, il dit vrai, le poète !
La jeunesse emportée et d’humeur indiscrète
Est la meilleure encor ; sous son souffle jaloux
Elle aime à rassembler tout ce qui flotte en nous
De vif et d’immortel ; dans l’ombre ou la tempête
Elle attise en marchant son brasier sur sa tête ;
L’encens monte et jaillit ! elle a foi dans son vœu ;
Elle ose la première à l’avenir en feu,
Quand chassant le vieux Siècle un nouveau s’initie,
Lire ce que l’éclair lance de prophétie.
Oui, la jeunesse est bonne ; elle est seule à sentir
Ce qui, passé trente ans, meurt, ou ne peut sortir,
Et devient comme une ame en prison dans la nôtre ;
La moitié d’une vie est le tombeau de l’autre ;
Souvent tombeau blanchi, sépulcre décoré,
Qui reçoit le banquet pour l’hôte préparé.
C’est notre sort à tous ; tu l’as dit, ô grand homme !
Eh ! n’étais-tu pas plus celui que chacun nomme,
Celui que nous cherchons, et qui remplis nos cœurs,
Quand par de là les monts d’où fondent les vainqueurs,
Dès les jours de Wagram, tu courais l’Italie,
De Pise à Nisita promenant ta folie,
Essayant la lumière et l’onde dans ta voix,
Et chantant l’oranger pour la première fois ?
Oui, même avant la corde ajoutée à ta lyre,
Avant le Crucifix, le Lac, avant Elvire,
Lorsqu’à regret rompant tes voyages chéris,
Retombé de Pæstum aux étés de Paris,
Passant avec Jussieu tout un jour à Vincennes
À tailler en sifflets l’aubier des jeunes chênes ;
De Talma, les matins, pour Saül, accueilli ;
Puis retournant cacher tes hivers à Milly,