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LE CLOU DE ZAHED.

chants du fond d’un salon voisin. Au milieu de la fête, on vit entrer Zahed. Il salua gracieusement le maître du logis, et la main armée d’un petit marteau d’acier, il enfonça dans la muraille un clou long et aigu, auquel il suspendit un magnifique bouquet de fleurs.

Quoique ce grossier clou de fer fut planté dans les plis d’une magnifique étoffe de Perse qui tapissait le mur du plus beau salon de la maison, la galanterie de Zahed fut approuvée, et vantée surtout par les femmes. Hamdoun vint le complimenter sur la manière dont il disposait de la propriété qu’il avait conservée dans le palais. Ildiz elle-même modifia quelque peu l’opinion qu’elle avait conçue de cet homme à la première vue.

— Il faut, se disait-elle tout bas, se méfier de la première impression. Cet homme, pour lequel j’éprouve, malgré moi, une répugnance invincible, est peut-être après tout un fort honorable seigneur. Je dois attendre pour le juger.

Ce soir-là, Zahed déploya dans la conversation beaucoup d’esprit et de gaîté. Hamdoun fut enchanté de lui : il ne regretta plus d’avoir inséré cette clause bizarre dans son contrat, et s’il eût cru se rendre agréable à Zahed, il lui eût accordé la propriété d’un second clou dans son sérail.

Zahed continua pendant plusieurs semaines à venir visiter chaque jour l’acquéreur de son palais, et chaque jour aussi les fleurs les plus fraîches et les plus rares étaient suspendues par lui au clou qu’il avait planté dans la muraille. Chaque jour, il entremêlait ses fleurs de ghazelles et autres pièces de poésie écrites en langue persanne, arabe et turque. Une pensée d’amour était toujours le fond et le refrain de ces ghazelles, qui semblaient s’adresser aux étoiles du ciel. Mais le nom d’Ildiz, qui signifie étoile, en langue turque, rendait l’allusion assez palpable pour que personne ne pût s’y tromper. Les amis et les convives de Hamdoun lui rapportèrent les bruits injurieux qui couraient à ce sujet sur son compte dans la ville de Baghdad. Hamdoun n’y fit d’abord aucune attention, mais les visites de Zahed devenant de plus en plus longues et plus fréquentes, ses ghazelles à Ildiz ne daignant plus même emprunter le voile de l’allégorie, Hamdoun s’en plai-