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LE CLOU DE ZAHED.

de beaux rosiers fleuris autour de ton monument funèbre. Ali-Ahmed, voudras-tu mourir comme un chien ?

— Dieu sait distinguer partout les fidèles, répliqua le vieillard en levant ses yeux au ciel.

— Vieillard inflexible ! reprit l’étranger avec une visible émotion, tu es toi-même ton bourreau ; que ton sang ne retombe que sur toi ! Encore une fois, veux-tu me donner ta fille ?

— Non, car tu es un infâme.

Un éclair de fureur brilla dans les yeux du jeune homme.

— Eh bien ! je ferai plus que de te tuer. Tu pousses mon amour à bout ; tu veux faire de moi un tigre implacable : sois satisfait, Ali-Ahmed. Ildiz, ta fille, est belle et brillante comme l’étoile du ciel dont elle porte le nom. Je couvrirai cette étoile pure d’un nuage sombre et rouge comme du sang. Je me vengerai de toi sur ta fille. Je violerai ta fille, Ali-Ahmed ; j’en fais le serment solennel, et tu sais si je tiens mes sermens. Je la violerai, cette vierge pudique, l’orgueil de tes vieux jours, et puis après, mon poignard en fera justice.

— Oh ! rétracte ce cruel serment, jeune homme, dit le vieillard en pâlissant ; tu as trouvé le seul côté par lequel la crainte puisse entrer dans mon cœur. Jeune homme, aie pitié de ma fille, s’il est vrai, comme tu le dis, que tu l’aimes ; elle est si belle, mon Ildiz ! elle est si pieuse dans son respect pour son père ! Demande-moi mes trésors, mes palais, mes esclaves ; je t’abandonne tout. Quelques dattes, un peu d’eau, une poignée de riz, suffiront désormais, si tu le veux, à mon existence, mais laisse-moi ma fille ; grâce ! grâce ! au moins pour ma fille.

Le vieillard était aux pieds de l’étranger, qui, enveloppé dans son manteau, sa tête hâlée immobile dans son épais turban de mousseline blanche, laissait tomber sur sa victime un regard dédaigneux et cruel.

— Grâce ! pitié ! en ai-je trouvé, moi, dans tes dédains quand tu me repoussais du pied, comme un chien impur, sans t’inquiéter si je pourrais ou non guérir de mon amour ? Apprends que la vie m’est impossible sans ta fille ; qu’il me faut ta fille de gré ou de force, morte ou vivante, dans un voile de noce ou dans un linceul. Pour l’honneur de ta fille, Ali-Ahmed, je te fais ce dernier