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ROMANS PROVENÇAUX.

l’intervalle de temps, et dans les pays auxquels appartiennent celles dont j’ai parlé ; mais ces dernières étant les seules qui subsistent, sont aussi les seules dont on puisse déduire quelques notions pour l’histoire de la fable célèbre sur laquelle elles roulent toutes. — De tout ce que j’en ai dit jusqu’à présent, il résulte que Chrétien de Troyes est le plus ancien de tous les rédacteurs connus et désignés de cette même fable, et par conséquent celui d’entre eux auxquels on doit en attribuer l’invention, si l’on doit l’attribuer à l’un d’eux.

Mais il est une littérature dans laquelle personne n’a eu l’idée de chercher l’origine, la rédaction première de la fable dont il s’agit, littérature dans laquelle pourtant il est certain que cette même fable fit plus de bruit, et plus tôt que dans aucune autre : c’est la littérature provençale. Les résultats des allusions et des témoignages des troubadours sur ce sujet sont d’un grand intérêt dans la discussion actuelle, et je dois les indiquer nettement. Je suivrai pour cela la même méthode dont j’ai fait usage pour établir la part des Provençaux à la culture de l’épopée carlovingienne.

Je trouve vingt-cinq troubadours qui ont fait, et plusieurs d’entre eux plus d’une fois, allusion à l’histoire de Tristan ; et leurs allusions sont, pour la plupart, précises et spéciales ; elles se rapportent aux points les plus célèbres de la fable, à ses incidens les plus caractéristiques, les plus minutieux, les plus délicats, de sorte qu’il ne peut y avoir aucun doute sur l’identité fondamentale de l’ouvrage auquel avaient trait ces allusions, et de toutes les rédactions de Tristan aujourd’hui connues. On pourrait, d’après tous ces passages de tant de troubadours, reconstruire un roman qui différerait assurément beaucoup, quant à la rédaction et aux détails, des romans connus sur le sujet de Tristan, mais qui s’accorderait pour le fond avec ceux-ci, qui aurait le même nœud, le même dénouement, les mêmes aventures principales, et les mêmes acteurs. — Il est évident, au nombre, à la précision, à la variété de ces allusions, que la composition romanesque à laquelle elles avaient rapport, était tenue pour la plus célèbre de son genre, pour celle dont il était