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ROMANS PROVENÇAUX.

encore quelques ouvrages provençaux de tout genre, que d’en avoir tant perdu ; et il n’y a certainement rien à conclure de ces pertes contre le fait que je veux établir, en affirmant que l’épopée romanesque fut un des genres de poésie cultivés par les troubadours.

Et l’assertion ne doit pas être restreinte aux principaux de ces genres ; elle s’étend à tous, jusqu’aux plus petits, jusqu’à ceux qui ont toujours passé sans contestation pour français d’origine et de caractère, je veux dire jusqu’à ces petits contes si célèbres dans la vieille littérature française, sous le titre de fabliaux.

Les troubadours aussi firent des fabliaux, et je ne balance pas à croire qu’ils en donnèrent les modèles. — Il en reste encore quelques-uns d’entiers, et de quelques autres des fragmens qui font singulièrement regretter tout ce qui s’est perdu de l’ancienne littérature provençale en ce genre, comme dans tous les autres. — Parmi ceux de ces contes que je connais, il y en a un très-piquant de Vidal de Bezandun, troubadour qui vivait dans la seconde moitié du xiiie siècle. C’est l’histoire, peut-être vraie au fond, d’un seigneur catalan, d’humeur très-jalouse, et qui prend une femme, la plus belle, la plus aimable, la plus sage du monde. Cette femme est disposée d’abord à l’aimer plus qu’il ne mérite ; mais à la fin, piquée de se voir l’objet de soupçons injurieux, elle se venge en écoutant un des nombreux chevaliers qui lui font la cour, et se conduit si adroitement, qu’elle fait rouer son mari de coups par ses propres domestiques, dans un moment critique où celui-ci s’était flatté de la surprendre.

Un autre fabliau à tous égards plus intéressant encore que celui-là, mais dont on n’a qu’un fragment, est attribué à Pierre Vidal de Toulouse, l’un des troubadours célèbres de la seconde moitié du xiie siècle. C’est un récit allégorique, ou pour mieux dire, mythologique, dans lequel l’auteur a mis en scène, et décrit avec le plus grand détail les êtres fantastiques dans lesquels les troubadours avaient personnifié leurs idées d’amour et de galanterie. — Car, suivant un penchant naturel à l’humanité,