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POÈTES CONTEMPORAINS.

pour l’ordre majestueux et lucide. En même temps que l’esprit grave, mélancolique, de Vauvenargues, retardé par le scepticisme, s’éteint avant d’avoir pu s’appliquer à la philosophie religieuse où il aspire, des natures sensibles, délicates, fragiles et repentantes, comme mademoiselle Aïssé, l’abbé Prévost, Gresset, se font entrevoir et se trahissent par de vagues plaintes ; mais une voix expressive manque à leurs émotions ; leur monde intérieur ne se figure ni ne se module en aucun endroit. Plus tard, Diderot et Rousseau, puissances incohérentes, eurent en eux de grandes et belles parties d’inspiration ; ils ouvrent des jours magnifiques sur la nature extérieure et sur l’ame ; mais ils se plaisent aussi à déchaîner les ténèbres. C’est une pâture mêlée et qui n’est pas saine que la leur. La raison s’y gonfle, le cœur s’y dérange, et ils n’indiquent aucune guérison. Ils n’ont rien de soumis ni de constamment simple : la colère en eux contrarie l’amour. Cela est encore plus vrai de Voltaire, qui toutefois dans certains passages de Zaïre, surtout dans quelques-unes de ses poésies diverses, a effleuré des cordes touchantes, deviné de secrets soupirs, mais ne l’a fait qu’à la traverse et par caprices rapides. Un homme, un homme seul au dix-huitième siècle, nous semble recueillir en lui, amonceler dans son sein et n’exhaler qu’avec mystère, tout ce qui tarissait ailleurs de pieux, de lucide et de doux, tout ce qui s’aigrissait au souffle du siècle dans de bien nobles ames ; humilité, sincérité parfaite, goût de silence et de solitude, inextinguibles élancemens de prière et de désir, encens perpétuel, harpe voilée, lampe du sanctuaire, c’était là le secret de son être, à lui ; cette nature mystique, ornée des dons les plus subtils, éveille l’idée des plus saints emblèmes. Au milieu d’une philosophie matérialiste envahissante et d’un christianisme de plus en plus appesanti, la quintessence religieuse s’était réfugiée en sa pensée comme en un vase symbolique, soustrait aux regards vulgaires. Ce personnage, alors inconnu et bien oublié de nos jours, qui s’appelait lui-même à travers le désert bruyant de son époque le Robinson de la spiritualité, que M. de Maistre a nommé le plus aimable et le plus élégant des théosophes, créature de prédilection véritablement faite pour aimer, pour croire et pour prier, Saint-Martin s’écriait, en s’adressant