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juge avec le moins de sévérité ; c’est aussi l’un de ceux que nous préférons. Que de douceur et de charme dans cette histoire si simple et si touchante ! Que de passion aussi ! Y a-t-il rien de suave et de gracieux comme la scène du départ au sommet de la colline, au bout du sentier de la croix ? Y a-t-il rien de chaste et de ravissant comme ces baisers craintifs posés et recueillis sur des feuilles de rose ? et ce baiser d’adieu, si timide encore, que les lèvres des amans n’osent se donner qu’à travers le dernier débris de l’églantine ? Ailleurs, au dénoûment du drame, quelle autre situation déchirante et passionnée ! Lorsque Adolphe retrouve sa pauvre Thérèse aveugle et défigurée par la maladie, et la presse avec amour toute mourante entre ses bras, comment le dégoût ne l’emporte-t-il point pourtant sur l’intérêt, et ne nous contraint-il pas à fermer le livre ? Oh ! c’est qu’au milieu de son agonie cette jeune fille est plus belle encore ; c’est qu’il semble que son ame se montre à nous plus pure et plus céleste au travers des plaies et sous les flétrissures de son corps ; c’est que, comme son amant, nous voudrions retenir aussi dans nos bras cet ange qui ouvre les ailes et va s’envoler.

Ce n’est point le même genre d’intérêt qu’il faut chercher dans Jean Sbogar. Jean Sbogar est, selon nous, bien moins un roman qu’un poème ; c’est un poème à la manière de ceux de Walter Scott et de Byron, comme Marmion, comme la Dame du Lac, comme le Corsaire. Ce ne sont plus seulement les replis du cœur sondés et développés ; ce ne sont plus ses froissemens et ses souffrances, naïvement étudiés et décrits : ici le drame domine ; l’action est pleine, rapide et pressée. On suit avec anxiété les personnages ; on court avec eux au dénoûment, fasciné, comme la pauvre Antonia, par le regard de cette sombre et mystérieuse figure de Jean Sbogar, apparaissant de loin à loin, et entraînant irrésistiblement la jeune fille à l’abîme. Il est à regretter que M. Charles Nodier, qui possède si bien l’instrument poétique, n’ait point écrit cet ouvrage en vers ; leur rhythme eût accusé mieux encore la beauté de ses proportions et de ses contours.

Smarra, dont Apulée avait fourni l’idée première, n’est, à proprement parler, qu’une étude, mais c’est une étude philologique, bien savante et bien profonde ; ingénieuse et patiente restitution de la phraséologie antique, heureuse importation de ses plus belles formes dans la nôtre, pensées habilement coulées dans les moules les plus purs de la construction grecque et latine ; — il y a là vraiment d’inappréciables trésors de style.

C’est aussi surtout par cette richesse et ce fini d’exécution que Trilby