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REVUE DES DEUX MONDES.

— Alors, monsieur, puisque on ne peut rien vous cacher, je vous dirai que c’est une taie d’oreiller.

— Cela ne passera pas, miss Clarice. Ce serait donc l’oreiller d’un géant. Devinerai-je ?

— Finissez-donc, monsieur Smith, et voyez vous-même ; car je ne sais plus que vous dire.

Long-temps avant que la conversation arrive à ce point, de longs éclats de rire sont échangés entre les interlocuteurs. Je vis un jour une jeune dame tellement mise aux abois par un spirituel dandy, que, pour prouver qu’elle faisait un sac, et pas autre chose qu’un sac, elle ferma par une bonne couture le bas de sa chemise, après quoi elle la lui montra d’un air triomphant en s’écriant : « Là, maintenant ! qu’avez-vous à répondre à cela ? »


Nous terminerons ces extraits beaucoup trop nombreux sans doute, en mettant sous les yeux de nos lecteurs la conclusion du livre de mistress Trollope. Elle mérite d’être lue.


« Les choses qu’on a lues dans ce livre auront assez fait comprendre, je suppose, que je n’aime pas l’Amérique. Je l’avoue, et je m’en étonne moi-même. J’y ai laissé des amis qui ont toute mon admiration, et qui ne sortiront jamais de mon cœur ; le pays m’a paru beau, son territoire fertile, son industrie et son avenir pleins de grandeur et d’espérance. D’où vient donc ce sentiment ? J’ai besoin de m’en rendre compte à moi-même et de l’expliquer aux autres ; j’ai besoin de découvrir et de dire ce qu’il y a au fond de mes souvenirs, qui neutralise tout ce que j’ai vu de beau, de bon et de grand de l’autre côté de l’Atlantique, et m’inspire pour l’Amérique une invincible aversion.

« On a coutume de dire que ce qui fait le charme d’un pays, ce sont moins les choses que les personnes. La vérité de cette observation m’a toujours frappée, et plus d’une fois elle s’est présentée à mon esprit en Amérique. Je ne parle ni de mes amis, ni des amis de mes amis. Le petit nombre de patriciens qu’on y trouve forment une race à part ; ils vivent entre eux et pour eux, ne se mêlent point aux affaires publiques qu’ils abandonnent avec une espèce de dédain à leurs cordonniers et à leurs tailleurs, et ne représentent pas plus la nation américaine que la tête de Byron celles des autres pairs anglais. Je ne parle point de ces hommes-là ; je parle de la population américaine en général, telle qu’on la trouve dans les villes et dans les campagnes, dans les classes riches et dans les classes pauvres, dans les états du midi et dans ceux du nord.