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UN ÉPISODE DU BLOCUS CONTINENTAL.

Il tomba un monceau de chair, de sang et de linge sur le rocher.

Douze coups de fusil avaient porté. Douze balles avaient renversé la jeune fille à la robe blanche, qui était venue, par ordre de son père, respirer l’air marin qui rend la santé.

Le contrebandier amena son pavillon sans résistance. Il fut remorqué au port.

On cria : Vive l’empereur ! à bord de la frégate.

On répondit : Vive l’empereur ! de la terre et de la ville.

Vive le blocus !

Le soir de cette grande journée, une harpe eut ses cordes brisées, un oiseau s’envola, un livre resta ouvert qu’on ne ferma plus.

Entendez-vous ces cloches joyeuses, ce canon qui tonne, ce peuple qui se rend sur la grande place ? Décimé par la famine, par la guerre et par Napoléon, il crie vive la guerre et Napoléon ; ruiné par le blocus continental, il hurle vive le blocus continental ! Il vient là nu-pieds, nu-tête, quoiqu’il gèle, les lèvres gercées, les mains violettes, l’estomac rentré par la faim.

D’abord, dans l’ordre du désordre, Scipion conduit un peloton de vieux corsaires ; il a les honneurs du pas.

Tout ce qui abhorre les Anglais et l’Angleterre est invité à coups de canon à la fête. Toute la ville y sera, toute la ville y est.

Ce n’est ni du pain, ni du vin, ni du tabac, ni du sel, ni de l’or qu’on va distribuer au peuple, c’est de la vengeance contre l’Angleterre, de la vengeance argent comptant : chacun en prendra à pleines mains. Les vieillards, les jeunes hommes, les enfans, les femmes, en auront leur part. Les femmes surtout, voyez comme elles sont belles de fureur ! Chacune d’elles va se payer d’un fils mort, d’un frère prisonnier, d’un époux noyé. C’est le jour du rachat ! Vous savez si une mère est terrible quand on tue son fils ! Il y a là des mères qui ont huit fils tués par Nelson ; huit vengeances à des femmes à qui une suffit !

Voyez maintenant la grande place autour de laquelle rode et hurle ce peuple, qui sort la langue, qui aiguise ses ongles ;