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cevait tous ces services avec une impassible dignité, souriant quelquefois aux Musulmans. Quant aux chrétiens et aux juifs, il les voyait lorsqu’ils s’offraient à ses regards, comme s’ils n’existaient pas, malgré la posture humble et rampante que ces malheureux étaient obligés de prendre à son aspect. Son silence, qui n’était interrompu que par des phrases solennelles et sentencieuses, laissait un libre champ aux conjectures sans fin qui circulaient dans la caravane. — C’était un ancien visir, dégoûté des grandeurs humaines, qui ne pensait plus qu’à Dieu et à son prophète ; — c’était le schérif de la Mecque, qui venait de rendre une visite au grand-seigneur ; — c’était un profond magicien, qui savait le Koran par cœur et lisait l’avenir dans chacun de ses versets ; — c’était un saint martyr qui avait langui vingt ans dans les prisons du Frankistan, pays des infidèles ; — et chacune de ces suppositions était accompagnée des formules de l’enthousiasme le plus ardent. — Que Dieu prenne de mon existence pour augmenter ses jours. — Que sa mère soit heureuse comme Mariam. — Que la terre de son tombeau lui soit légère après sa mort, et que son ange protecteur ait alors à se réjouir. —

Puis, quand la caravane s’arrêtait dans une ville, c’étaient cent échos qui se répandaient dans toutes les rues, proclamant la présence du saint personnage, invitant les fidèles à venir se sanctifier de sa vue, et la foule aussitôt l’entourait, le pressait, baisait sa robe, avide qu’elle était de croyances et d’émotions religieuses. Elle accourait dans l’espoir d’entendre une sentence inconnue, un récit miraculeux, d’apprendre de nouveaux moyens d’échapper aux infirmités humaines, car ces âmes simples et naïves accordent tout à ceux qu’elles croient aimés de la Divinité. Ainsi qu’elle, ne doivent-ils pas avoir des soulagemens pour tous les maux ?

On arriva à Alep. Le scheik se rendit au téké des derviches mewlevi. Alors en Turquie, où l’individu isolé se trouvait placé sans défense vis-à-vis le despotisme, des corporations, semblables à des asiles, lui étaient ouvertes pour échapper à son isolement ; celles des janissaires et des derviches étendaient leur réseau sur tout l’empire : ce n’est pas que leur appui fût toujours sûr ; mais