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LE CAPIDJI-BACHI.

naches si élevés qu’ils forment comme un nuage au milieu duquel apparaît le grand-seigneur, qui semble y être porté ; car son cheval ne se voit plus. Combien Mustapha semblait jouir de sa nouvelle existence ! C’était le vendredi et prière publique à la mosquée, les deux beyrams et leurs cortéges resplendissant, des djerids où les nègres du harem faisaient preuve de virilité. Mais, au milieu de cet enivrement, dominait immuable son idée de vengeance : aussi, en se conciliant l’amitié du chef des eunuques, ne songea-t-il qu’à lui faire partager sa haine contre Ahmed, dont le caractère bouillant et fier se pliait à regret aux mœurs du seraï. Le fils du berber-bachi ne tarda pas à être en butte à toutes sortes de persécutions, qui vingt fois furent sur le point de le porter à quelque extrémité ; enfin, un jour qu’il avait à présenter au grand-seigneur le turban sacré dont sa hautesse doit ceindre sa tête lorsqu’elle se met en prière, il eut la maladresse de le laisser tomber. Cet incident troubla un instant l’auguste cérémonie. Ahmed ne pressentit que trop l’odieux traitement qui l’attendait au seraï ; car, là comme par tout l’empire, le bâton règne. Il ne songea plus qu’à se soustraire à l’indigne bastonnade, et, profitant du moment où le grand-seigneur, toute sa cour, tout le peuple étaient absorbés par la sainteté de la prière, il quitta furtivement la mosquée, couvrit son riche costume d’un benich, dont un soldat s’était débarrassé, et alla chercher un asile à l’autre extrémité de Constantinople, chez un ancien serviteur de son père, qui le reçut en tremblant. Long-temps on ne sut ce qu’il était devenu.

Cependant Mustapha, homme souple et persévérant, réussit au seraï et fut nommé capidji-bachi, un jour qu’il rendit avec à propos je ne sais quel service au grand-seigneur. Les capidji-bachi sont le télégraphe de l’Orient : ce sont des ordres en chair et en os ; c’est par eux que la volonté du sultan vole mystérieuse à travers vingt royaumes et s’exécute là où elle doit être exécutée. Mustapha était donc sur un beau chemin : il pouvait, sans trop d’illusion, entrevoir la dignité visirielle ; mais un caprice l’avait élevé, par un caprice aussi il fut oublié. Il vieillit dans sa charge de capidji.