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LITTÉRATURE DANOISE.

presque de l’avis de ce vieux marin, qui disait, après avoir lu le voyage à Lilliput : « Les voyages de ce capitaine Gulliver sont bien intéressans, c’est dommage que tout n’y soit pas exact. »

Holberg ne procède pas de la même manière ; il brave tout d’abord le bon sens du lecteur, et lui impose silence au lieu d’entrer en accommodement avec lui. C’est une autre méthode qui peut réussir aussi à transporter l’imagination du lecteur dans une région merveilleuse : les magiciens ne font pas naître insensiblement le prestige, mais ils donnent un coup de baguette, et le prestige est créé.

On sent qu’Holberg ne pouvait donner à ses arbres parlans l’existence si réelle et presque croyable des Lilliputiens ; aussi il néglige bientôt le côté fantastique de cette donnée, et les premières pages passées, sa république des arbres n’offre plus qu’une utopie satirique, et l’intention de l’auteur est presque uniquement, dans la première partie, de faire contraster la sagesse des habitans avec nos folies.

La portion la plus originale de l’ouvrage, c’est celle où sont racontés les différens voyages de Klimm dans l’île de Nazar ; il va d’abord chez les Nagiris, dont les yeux ont la forme d’un carré long et qui voient tout sous cette forme, ce qui ne se conçoit pas trop bien, car les objets ne nous semblent pas tous ovales. Ce qui est assez heureux, c’est d’avoir imaginé que dans ce pays on exige de ceux qui veulent obtenir un emploi, de voir ainsi et d’attester par serment qu’un certain carré est long. Klimm trouve un pauvre diable bafoué comme hérétique pour avoir dit que le carré était carré ; lui-même ne peut s’empêcher de le trouver ainsi, il le confie à un cyprès de ses amis qui voit aussi carré, mais qui n’ose le dire, de peur d’être destitué. Après ce pays intolérant, Klimm en trouve un autre qui est véritablement le monde renversé : les jeunes gens y sont les gens raisonnables et les vieillards y sont les fous. Dans un autre encore, les rapports naturels sont changés d’une façon non moins singulière : ce sont les jeunes filles qui attaquent les jeunes hommes et ceux-ci qui résistent. L’auteur parcourt ainsi une suite de suppositions bizarres dont il tire un petit nombre d’effets comi-