Page:Revue des Deux Mondes - 1832 - tome 7.djvu/704

Cette page a été validée par deux contributeurs.
704
REVUE DES DEUX MONDES.

contrée dans un roman carlovingien, et je regrette de n’avoir pas noté le passage, pour l’opposer à celui que je viens de citer ; mais je me souviens que la fiction dont il s’agit y était rendue franchement, simplement, et en un petit nombre de vers, qui ne présentaient aucun vestige de la recherche, ni de la molle curiosité qui règnent dans ceux de Chrétien.

La recherche et la mollesse à part, un des caractères des romans de la Table ronde, c’est un goût exagéré et pédantesque pour les détails dans la peinture des sentimens, des situations, des caractères, et en général dans toute leur partie descriptive. Ce mauvais goût, excès opposé à la sécheresse de la vieille épopée carlovingienne, est surtout sensible dans ces énormes romans de la Table ronde en prose, où il se trouve on ne peut pas plus au large. — Pour en donner une idée, je citerai quelques traits d’un portrait de Lancelot-du-Lac dans le roman de ce nom.

« Lancelot fu de moult belle charneure (carnation), ni bien blanc, ni bien brun, mais entremêlé d’un et d’autre, ainsi que l’on peut bien cette semblance dire clair-brunet. Il eut le viaire (visage) enluminé de naturelle couleur vermeille, tellement par mesure et par raison que visiblement Dieu y avoit mis de compagnie la blancheur et la bruneur, de telle sorte que la blancheur n’étoit éteinte ni empirée par la bruneur, ni la bruneur par la blancheur ; ainsi étoit l’une tempérée par l’autre, et la vermeille couleur qui enluminoit les autres couleurs, entre-mêlée, de sorte que rien n’y avoit trop blanc, ni trop brun, ni trop vermeil, mais également y avoit des trois ensemble. »

Voilà pour le teint seulement. Vous pouvez vous figurer par cet échantillon la dimension totale du portrait. Et savez-vous quel âge avait Lancelot quand le romancier le peignait avec cette prolixité si précieuse et si maniérée ? Il avait trois ans. Il y a de quoi trembler de le voir devenir un homme.

Ces divers exemples montrent clairement à quel point le style épique des romans de la Table ronde se ressentait de l’influence du style lyrique : c’était en effet de ce dernier qu’avaient passé dans l’autre ce goût de détails maniérés, cette