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UN SOUVENIR DU BRÉSIL.

filet d’eau qui coulait sans bruit dans un bas-fonds couvert d’une végétation sauvage ; de longues gerbes de lumières se jouaient à travers les arbres sur le ruisseau paisible. J’allais pousser un cri pour me faire entendre de quelques nègres de l’habitation, si par hasard il s’en trouvait à portée de me répondre, lorsqu’au pied d’un arbre qui dominait toute la forêt, j’aperçus une figure noire assise immobile. Je reconnus Cupidon.

Il paraissait plongé dans une rêverie profonde qui l’avait sans doute empêché de m’entendre. Sa tête crépue était penchée sur sa poitrine : ses bras reposaient sans mouvement sur la terre. À ses côtés étaient son sabre de travail, un de ces petits paniers de jonc que les nègres fabriquent dans leurs momens de loisir, et une tortue de terre qu’il avait trouvée dans le bois. Elle était renversée sur le dos et agitait ses pattes en cherchant à reprendre sa position naturelle sans pouvoir y parvenir. Je me cachai sans bruit derrière une touffe épaisse de bambous, et je l’observai à travers le feuillage. Il se parlait tout haut à lui-même, suivant l’usage des nègres, mais je ne pus saisir le sens des mots interrompus qui lui échappaient.

Tout-à-coup il se réveilla en sursaut, saisit son sabre et se mit à nettoyer, au pied de l’arbre une petite place d’un pied carré. Quand le sol fut à découvert, il prit la tortue, l’ouvrit en deux d’un coup de sabre et arrosa la terre de son sang. Il mit un morceau de celle-ci dans le creux de sa main, et la pétrit en l’humectant de temps en temps d’un peu de salive. Quand cette opération fut terminée, il se leva, fit quelques pas dans le bois et revint un instant après avec des plantes, dont il arracha les feuilles ; puis, prenant une longue épine de palmier, il se l’enfonça au-dessous du sein gauche. Le sang jaillit et tomba sur les feuilles qu’il tenait à la main. Il en prit une et en enveloppa la terre qu’il venait de préparer. Une seconde recouvrit celle-ci, et entre elles il plaça une mèche de ses cheveux, qu’il arracha d’un seul coup. Quand le morceau de terre fut recouvert de plusieurs couches de feuilles, qu’il entremêla de cheveux, de plumes et de lambeaux de chair de la tortue, il l’attacha avec une liane, et le mit dans son panier. Pendant cette