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Je me crus transporté dans le harem du tout-puissant empereur de Maroc, le plus riche en houris au teint d’ébène, s’il en faut croire maints voyageurs qui ne l’ont pas plus visité que vous et moi. Vous pouvez m’en croire, car ce réduit écarté renfermait seize jeunes filles dont la moins jolie eût gagné le cœur d’un sultan de Darfour ou du Bournou. Ces filles de l’Afrique ! elles apparaissent toutes à votre imagination, lippues, au nez écrasé, aux formes vulgaires ; mais vous ne les connaissez pas. Pourtant, si, dans vos songes, la statue de Médicis vous est apparue, non pas marbre inanimé et froid, mais vivante, mais brûlante d’amour, et exhalant la volupté par tous ses pores, alors vous avez vu les vierges africaines. Hâtez-vous seulement de respirer le parfum de ces fleurs passagères, car ce sont les fleurs du Dhaïlé, dont la sombre corolle tombe dans les premières heures du jour.

Toutes n’avaient, pour se dérober aux regards, qu’un étroit lambeau de toile bleue, négligemment roulé autour de leurs corps. Notre entrée subite fit cesser quelques paroles qu’elles s’adressaient à demi-voix dans l’idiome doux et harmonieux du Benguela. Elles se serrèrent les unes contre les autres en fixant leurs grands yeux sur nous, comme un troupeau de gazelles que le chasseur surprend couchées sous les roseaux, au bord de la Gambie ou du Zaïre.

— Qu’en dites-vous ? nous demanda le négrier, après un moment de silence.

— Je dis, senhor Coutinho, répondit Manoel, qu’il n’y a que vous qui nous apportiez de ces choses-là. Où diable les prenez-vous ? avez-vous fait main basse sur le sérail de quelque roitelet du pays ? D’où viennent-elles ?

— Ma foi, qu’elles vous le disent elles-mêmes, si elles le savent. Je les ai eues d’un marchand d’esclaves de l’intérieur qui, pour compléter la bande, y a joint sa fille que vous voyez là, celle au collier de corail. Le vieux païen me les a fait payer assez cher ; il n’y en a pas une qui ne me coûte le double de celles que vous avez vues là-bas.