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ou moins décrépits s’empresseraient de s’y rendre sur convocation, et de se mettre à la discrétion de l’autorité pour être sacrifiés.

M. Bernard a calculé qu’à Paris seulement ce serait une affaire de trente mille vieillards. Il ne dit pas, d’ailleurs, comment on les expédirait ; dans tous les cas, il est bien entendu qu’on ne les mangerait point.

Eh bien ! qu’en dites-vous, messieurs les économistes ; les recettes de Malthus pour modérer l’excès de la population valaient-elles celle de M. Gabriel Bernard de Dijon ?

Oh ! pendez-vous, messieurs du Globe et du Phalanstère. Messieurs Fourier, Barrault et Enfantin, pendez-vous. Vous n’aviez point songé à ce mode d’assainissement de la race humaine.

Assurément, nous venons déjà d’assister à de bien divertissans spectacles. Jetons néanmoins un coup-d’œil sur nos véritables théâtres.

C’est à l’Opéra seulement que le public est resté fidèle. Il est vrai de dire aussi que c’est là seulement qu’on se donne quelque peine pour lui plaire et l’intéresser.

Les dernières représentations de Robert le Diable ont pleinement justifié les espérances que les débuts de mademoiselle Falcon dans cet ouvrage avaient fait concevoir. Moins timide et plus confiante, elle a pu librement se livrer à ses inspirations et déployer tous ses moyens. Nul doute qu’une haute fortune ne soit promise à ce jeune et précoce talent.

Les débuts de M. et de madame Taglioni n’ont pas été non plus sans succès.

Madame Taglioni danse avec élégance et légèreté. Elle est jeune, elle est jolie, elle est bien faite. Son unique tort est de s’appeler madame Taglioni.

Quant à M. Taglioni, c’est un danseur de la vieille école. C’est un sauteur intrépide et téméraire. Ce n’est point un homme qui danse. C’est un ressort qui vibre. C’est une balle élastique qui rebondit. Il saute, il saute, il saute, et puis il saute encore. M. Paul de sauteuse mémoire n’a jamais assurément sauté si haut ni si long-temps. Il saute au hasard, il saute à l’aventure, au risque de rester accroché comme Absalon aux branches d’un arbre, ou de crever un œil de figurante. Et vraiment, il n’y a pas de soirée où il ne donne à ces pauvres filles quelque coup de pied, non pas dans les jambes, mais bien dans le visage. À ce jeu, M. Taglioni se cassera lui-même indubitablement les siennes. D’ailleurs, il aura beau faire, il ne détrônera point Perrot.

Pour mademoiselle Taglioni, bien habile aussi sera celle, je ne dis point qui l’égalera, mais qui viendra seulement de loin après elle. Mademoiselle Taglioni nous est revenue de Londres, mariée, dit-on, mais à coup sûr aussi merveilleuse au moins qu’avant son départ. Il n’y a point de mots, en vérité, pour peindre l’admirable perfection de sa danse et de son jeu. Combien elle est belle et passionnée dans le Dieu et la Bayadère. Elle n’y parle point, elle y est muette, et cependant c’est elle