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Nous recommandons sérieusement ces aperçus aux deux académies.

Les sessions de la cour d’assises auront été bien dramatiques durant cette quinzaine. Nous y avons vu d’abord de sérieuses et véritables tragédies, des condamnations capitales pour délits politiques. Un pauvre jeune homme, entre autres, a été condamné à mort par erreur. MM. les jurés s’étaient trompés. — Ceci serait monstrueux si ces arrêts devaient et pouvaient s’exécuter. — Ce n’est que triste et déplorable.

En revanche, après le drame nous avons eu la comédie. On nous a donné le procès saint-simonien.

Les apôtres sont venus de Ménilmontant au palais de justice, processionnellement, en grand costume, avec de grandes barbes et de petits bonnets. Le pape Enfantin marchait à leur tête, portant sa profession de père suprême imprimée sur son gilet, comme les marchands de papiers Weynen la leur sur leurs chapeaux.

Les débats de l’affaire n’ont pas été moins curieux que ne l’avait été le cortège. D’étranges querelles se sont engagées entre le président et le père suprême, entre le père suprême et le ministère public. Le père suprême trouvait mauvais que le président se permît de lui rire à la barbe, et le président déclarait que ce n’était point sa faute si le père suprême le faisait rire. Le ministère public ne voulait point souffrir que le père suprême le regardât fixement, et le père suprême affirmait que, pour s’inspirer, il avait besoin de regarder fixement le ministère public.

Après le réquisitoire de l’avocat général et pendant la suspension de l’audience, le nouveau messie et ses disciples ont aussi fait la cène à leur façon. Ils ont mangé de la volaille de grand appétit, attendu que le peuple a faim ; ils ont bu du vin de madère et du café à la santé de la classe la plus nombreuse et la plus pauvre.

Enfin sont venus les discours. Chacun des apôtres a parlé à son tour et le plus longuement qu’il a pu, puis le père suprême a pris le dernier la parole et récité son inspiration en homme qui n’est pas bien sûr de son rôle ; développant d’ailleurs sans nulle timidité ses chastes théories sur l’émancipation de la femme et la réhabilitation de la chair, et déclarant que l’esprit et la matière se mêlaient amoureusement en lui.

Le père a conclu en suppliant les juges de considérer qu’il était fort et beau, et qu’il avait toute la vigueur et toute la puissance d’un carabinier. Peu touché de ces argumens, le jury a condamné le prophète et ses principaux sectaires à mille francs d’amende et en une année d’emprisonnement.

C’est un châtiment bien sévère, et c’est grande pitié qu’on ait cru devoir traduire devant les tribunaux de pareilles folies qui n’étaient, en conscience, justiciables que des tréteaux du Vaudeville et des Variétés.

Au défaut du saint-simonisme dont la cour d’assises vient de proclamer la dissolution, une autre religion s’est récemment produite et révélée. L’inventeur en est M. Gabriel Bernard de Dijon. Comme il est