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paupières endormies ; il sourira, et notre monde s’écroulera dans le néant. Il aura cessé d’exister.

N’importe ; je vis. Ne suis-je qu’une ombre, qu’une image d’un songe, cela vaut encore mieux que le froid, noir et vide néant de la mort. La vie est le plus grand de tous les biens ; et le pire de tous les maux, c’est la mort. Que les lieutenans des gardes de Berlin en rient et traitent de lâche le prince de Hombourg parce qu’il recule devant sa tombe ouverte. — Henri Kleist avait autant de courage que ses camarades bardés et busqués, et malheureusement il l’a prouvé. Mais tous les esprits vigoureux aiment la vie. L’Egmont de Goëthe ne se sépare pas volontiers « des amicales habitudes de l’existence ». L’Edwin d’Immermann tient à la vie « comme un petit enfant se tient au sein de sa mère », et bien qu’il soit dur d’exister par la grâce d’autrui, il demande cependant grâce :

« Car vivre, respirer est après tout le bien suprême. »

Quand Ulysse trouve Achille dans les enfers, à la tête de la phalange des héros morts, et qu’il lui vante sa renommée parmi les vivans et sa gloire parmi les morts, celui-ci répond :

 
— Ne me parle pas de la mort pour me consoler, Odysseus !
« J’aimerais mieux labourer les champs comme un esclave,
« Être un pauvre homme sans patrimoine et sans héritage,
« Que de commander à tous ces morts qui ont disparu de la terre !

Je vis ! L’artère de la nature fait battre ma poitrine, et quand je respire avec joie, des milliers d’échos me répondent. J’entends la voix des rossignols. Le printemps les envoie pour tirer la terre de son sommeil. Le soleil se meut trop lentement, je voudrais fouetter ses chevaux de feu afin qu’ils s’élancent avec plus d’ardeur. Mais lorsqu’il se plonge dans la mer, et que la puissante nuit s’élève avec ses yeux pleins de désirs, oh ! alors un bonheur véritable me pénètre, les vents du soir se jouent contre mon cœur comme des jeunes filles caressantes, les astres m’appellent à eux et je m’élève, et je m’élance au-dessus de cette petite terre et des petites pensées des hommes .....


Mon Dieu, si j’avais assez de foi pour transporter les montagnes, le Johannisberg serait justement celle que j’emmènerais toujours