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POÈTES ET ROMANCIERS FRANÇAIS.

flambeaux. Aussi bien elle avait assez attendu ! Le réveil de Mergy dans les ténèbres, la main mystérieuse qui l’arrête au passage, et l’imprudent baiser qu’il applique sur une peau tannée, renferment, à mon avis, une leçon profitable sur l’ivresse des aventures ; et malgré la singularité des termes, j’adopte volontiers la comparaison du madère et du sirop anti-scorbutique.

Le portrait de Diane, et surtout ses yeux, me semblent peints d’après nature. Ses yeux de chatte, humides, veloutés et changeans, me plaisent particulièrement.

L’entrevue du capitaine George avec Charles ix est simple, mais significative. C’est dans le livre entier les seules pages littéralement historiques.

Malheureusement il n’y a pas de roman. Le livre est fait de telle sorte que chacun des chapitres paraît fait pour lui-même et ne se guère soucier du précédent ni du suivant ! C’est une série d’aventures bien dites, mais ordonnées presque au hasard, sans enchaînement nécessaire ; disposées comme les figures d’une toile italienne, de façon à produire chacun un effet individuel, mais sans subordination.

Et ainsi le roman de Mérimée vaut mieux par les détails et vaut moins par l’ensemble que son théâtre.

En effet la logique dramatique adoptée par l’Angleterre et l’Allemagne, et aujourd’hui acceptée par la France, est plus rapide, plus précise, plus nette que la logique épique. Il y a toujours dans un récit, si réel qu’il soit, une part inévitable de fantaisie à laquelle Prosper Mérimée ne paraît pas vouloir se résigner.

Sans doute ce serait folie à la critique de conjecturer dès à présent qu’il ne s’y résignera pas, et que, dans un second roman, il n’imaginerait pas un plan pareil à celui de ses drames, quant aux lignes générales, en ayant soin d’en troubler volontairement l’exécution par des accidens et des épisodes. Il est incontestable qu’un artiste du premier ordre n’est pas long à deviner ce qui lui manque.

Mais, en 1829, il paraissait croire qu’un récit n’a besoin ni de logique ni de fantaisie, et que la vérité des détails suffit. Aujourd’hui, je m’assure qu’il doit avoir changé d’avis.